« Vous pouvez jouer la plupart de votre carrière en Europe. Jouer une finale en Copa America. Jouer contre Messi, Ronaldo, Zidane. Écouter l’hymne de la Ligue des champions mais ne jamais oublier votre club. » Entretien avec Andres Fleurquin, vice-président du Defensor Sporting, le club qui exporte le plus grand nombre de joueurs en Uruguay.
L’Uruguay, un petit pays avec beaucoup de bons joueurs. Comment est-ce possible?
L’Uruguay est l’un des plus gros exportateurs de footballeurs par habitant au monde, En Uruguay, le Defensor Sporting, l’équipe dont je suis actuellement le vice-président est celle qui exporte le plus de joueurs dans l’histoire. Nous faisons du très bon travail avec les jeunes joueurs.
Quelques exemples de joueurs issus de la formation du Defensor Sporting?
Beaucoup d’entre eux ont joué en équipe nationale. Par exemple Martin Caceres qui a évolué en club à la Juventus de Turin. Martín Silva le deuxième gardien de but de l’équipe nationale. Martín Campaña, le troisième gardien de but de l’équipe nationale. Maxi Pereira, Diego Laxalt qui joue au Torino, Giorgian De Arrascaeta à Flamengo, Maxi Gómez à Valence.
Aimé en Turquie, moins respecté en France, vous partagez un peu le même sort que Diego Lugano pour qui l’aventure au Paris SG s’est mal finie. Comment jugez-vous votre expérience en championnat de France?
Avant tout, j’ai surtout joué 11 ans en Europe. Les deux premières années, j’ai joué en Autriche à Sturm Graz, c’était super! J’ai passé deux très belles années où nous avons joué la Ligue des Champions et sommes devenus champions d’Autriche. Il y a beaucoup de gens qui ont joué avec moi à Sturm Graz. Ils venaient d’Europe de l’est, de pays en guerre et la plupart des footballeurs sont venus en Autriche. Ces deux années ont été parfaites puis j’ai joué un an à Galatasaray. Les Turcs sont incroyables! Ils sont fous de foot!
Même si vous étiez champion, vous avez décidé de déménager?
L’affaire avec Galatasaray, c’est qu’ils ne m’ont pas payé. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller jouer en France au Stade Rennais. J’y ai passé un an dans le club du milliardaire François Pinault. À Rennes, j’ai joué en France les 12 premiers matchs puis ils ont changé d’entraîneur (Philippe Bergeroo est remplacé par Vahid Halilhodžić). Il est venu Vahid Halilhodžić … Un fou! Lors de la première formation, il m’a dit à moi et à deux gars d’Argentine (Gabriel Loeschbor et Mario Turdo): “Je dois vous parler tous les trois!” Et il nous a dit: “Je n’aime pas la mentalité sud-américaine …”
Ok…
« Alors la semaine prochaine, les deux Argentins et toi, vous allez vous entraîner avec le CFA » (l’équipe réserve qui joue en championnat de France amateur). Je joue encore deux matchs et ensuite il me dit: « Il faut aussi aller jouer en CFA! » Freddy! Il y a six mois, je jouais la Ligue des Champions avec Galatasaray ! Six mois après, je jouais avec la CFA de Rennes! C’est fou!
Avec Galatasaray, vous avez marqué en Ligue des champions à Barcelone la saison précédente. C’est sûr que se retrouver avec l’équipe réserve de Rennes, ça pèse sur le moral… (https://www.youtube.com/watch?v=11bXMRzYSwg à 32 secondes)
C’est incroyable … J’ai tout de même terminé la saison là-bas et Vahid m’a dit que je devais trouver un club même si j’avais deux ans de contrat de plus. Je n’avais pas le droit de rester même en CFA car j’avais un trop gros salaire pour jouer en CFA. Mais j’ai tout de même passé une très belle année en famille. Ma première fille est née à Rennes, j’y passe un bon moment même si je n’ai pas joué.
Quel joueur vous a le plus impressionné à Rennes?
Définitivement Petr Cech! Grande personnalité, grand gardien de but, il était fantastique! Puis après deux ans, il a quitté Rennes et il est allé à Chelsea.
Avant Fernando Muslera et maintenant Marcelo Saracchi, vous avez inauguré la tradition des joueurs uruguayens en Parlez-moi du niveau de la Liga turque?
C’est très difficile de jouer là-bas, il y a de très bonnes équipes. Le football y va très vite. C’est même plus rapide qu’en Espagne où le tempo du jeu varie. C’est comme la France. En France, vous avez ces joueurs qui sont très rapides, très forts, c’est très difficile de jouer en France.
Parlez-nous de la sensation de jouer au stade Ali Sami Yen.
Incroyable. Les Turcs sont vraiment des fanatiques de foot. Je viens d’Amérique du Sud mais vous ne pouvez pas imaginer à quel point les Turcs sont des passionnés de football. J’ai marqué le 100ème but du derby stambouliote Galatasaray-Besiktas (https://www.youtube.com/watch?v=_l9s-qd0Xms). Je ne le savais pas car après le match, j’ai acheté le journal et j’ai vu “Le centième but du derby inscrit par Fleurquin “! Je me suis demandé c’était quoi l’affaire avec ça et que racontait le journal et puis un de mes amis qui parle anglais m’a traduit: « Tu as marqué le but numéro 100 du derby de Galatasaray-Besiktas ». J’étais surpris !
Quel effet ça fait d’entendre l’hymne de la Ligue des Champions?
Je joue la Copa Libertadores qui est l’équivalent en Amérique du Sud mais ce n’est rien comparé à la Ligue des Champions. C’est incroyable! C’est comme une Coupe du monde. L’organisation, les gens, la presse, les équipes contre lesquelles tu joues… c’est incroyable. C’est merveilleux de jouer la Ligue des champions et aussi profiter des primes de matchs (rires). Plus sérieusement c’est un moment qu’il faut vivre une fois dans sa vie si on en a la chance!
Par la suite tu atterris en Liga espagnole où tu découvres une autre mentalité…
Je joue un an à Cordoba. Plusieurs hommes d’affaires avaient acheté le club et ils ont mis beaucoup d’argent dans le but de former une équipe pour devenir champion et aller en première division. Tous les joueurs de cette équipe étaient des joueurs de première division espagnole. Je venais de France, d’autres d’Argentine. C’était une équipe très forte, nous avons fait une bonne saison. Ensuite je suis allé à Cadiz dans le sud où j’ai passé plusieurs saisons incroyables là-bas. J’étais capitaine cinq des six années et les supporters étaient comme en Turquie. C’était incroyable. Même aujourd’hui, certains m’appellent encore. Cadiz c’est très particulier. L’année où nous avons joué en première division, Cadiz était la cinquième équipe de toute l’Espagne qui vendait le plus de maillots après Barcelone, le Real Madrid, l’Atletico Madrid et le FC Séville. Les gens sont très, fanatiques et tu sens la ferveur avant chaque match. La fête quand nous sommes montés en première division…terrible ! (https://www.youtube.com/watch?v=AbKhR_Zg-jU)
Ta plus grande fierté, reste quand même l’équipe nationale.
J’ai joué environ 21 matchs. Notre plus grand succès a été en 1999 au Paraguay lors de la Copa America. Nous avons atteint la finale contre le Brésil, qui était une très bonne équipe avec Rivaldo, Ronaldo, Roberto Carlos.
Qui est le joueur le plus fort contre qui tu as joué?
Ronaldinho quand il a joué à Barcelone et moi à Cadix. Ronaldo et Zidane lorsque nous avons joué contre le Real Madrid puis Messi.
Tu jouais comme milieu défensif. Selon toi qui est plus difficile à surveiller entre Zidane et Messi?
Il y a une plus grande différence parce que Messi jouait plus près de la ligne. C’était pas encore l’époque Guardiola où il jouait dans l’axe. Zidane a joué au milieu. Zidane est élégant. Avec lui, ce n’est pas si vertical. Messi est vertical et est plus rapide donc il est plus difficile de jouer contre Messi logiquement parce que Zidane lorsque vous jouez contre lui, il est préférable de rester dans sa zone car il va jouer aux latéraux ou libérer rapidement le ballon mais Messi c’est plus dans la verticalité avec vitesse.
Le meilleur joueur avec qui tu as joué?
En équipe nationale, Alvaro Recoba. Le problème de Recoba était qu’il ne voulait pas s’entraîner. Courir, et s’entrainer comme vous pouvez voir Cristiano Ronaldo qui s’entraîne comme un animal. Recoba non! Il veut seulement jouer au football, mais par contre mon dieu, il avait une très grosse technique. Quand il était dans un bon jour, il était dur à stopper!
Un pays de 3 500 000 habitants, Enzo Francescoli, Recoba, Forlan mais aussi Victor Hugo Morales et Constancio Virgil… Qu’est-ce qui crée la culture du football en Uruguay?
Les secrets sont que premièrement, notre culture est une culture du football. Tout le monde vit et aime le football et tout le monde joue au football. Dans les pays pauvres comme l’Uruguay, quand vous êtes très jeune, vous jouez au football. Tu n’as pas de vélo. Vous n’avez pas de skis. Vous jouez au football avec un ballon dans la rue.
L’autre secret est le «baby-foot» (https://twitter.com/i/status/1055119439283265536 âmes sensibles s’abstenir et https://www.youtube.com/watch?v=RavQk_Ic2sU) . Nous l’appelons baby-foot. C’est la compétition qui réunit de très jeunes garçons entre 6 ans et 13 ans et c’est très compétitif. Vous devez gagner! Vous devez gagner! Vous devez gagner! Vous forcez votre mentalité! Vous éduquez votre mentalité pour gagner pour être compétitif et même que vous ayez six ans que votre père en dehors du terrain de jeu vous crie: “Hé, vous devez gagner! Nous devons gagner!” avec des enfants de six ou sept ans!
Au Canada les coachs amateurs ne peuvent éthiquement pas faire ça!
C’est fou, je sais! Le secret est la mentalité Freddy! C’est pourquoi la plupart des équipes en Europe viennent ici et en Argentine parce que c’est la même chose. Les jeunes qui partent d’ici sont prêts. C’est la différence entre vous et nous au football: la mentalité!
Au point qu’un joueur comme Abdon Porte * s’est un jour suicidé pour ne pas avoir à subir l’humiliation d’être un remplaçant?
Tu as là un aperçu de comment la culture du football est en Uruguay. Nous avons même une ligue pour les personnes qui ont plus de 45 ans. Les gens qui peuvent jouer doivent avoir entre 45 et 55 ans.
Combien de clubs dans cette catégorie?
Environ 40 clubs.
L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano a dit : “Un homme peut changer de femme, de parti politique ou de religion, mais il ne changera jamais de club.” Toi qui es lié à vie au Defensor Sporting, te reconnais-tu dans ces paroles?
Ce n’était pas une option pour moi de jouer pour un autre club que Defensor Sporting à mon retour en Uruguay. Même pour de l’argent. C’est dans le cœur.
En 2006, l’Uruguay n’a pas participé à la Coupe du monde. Oscar Tabarez, revient et met en place EL PROCESO, une nouvelle politique de coaching. Pouvez-vous nous dire en quoi cela a changé le visage international du football uruguayen?
Ce que Tabarez a fait, c’est mettre beaucoup de professionnalisme dans la structure tout au long du processus. Les meilleurs médecins, les meilleurs préparateurs physiques. Ils ont construit un complexe sportif très professionnel. Il était en contact la plupart du temps chaque semaine avec la plupart des joueurs qui évoluent en Uruguay et à l’étranger. Il était en contact avec les plus grands joueurs de l’Uruguay chaque week-end. Il a mis beaucoup de professionnels dans le processus et il a eu beaucoup de chance car avec la génération de Forlán, Suarez, Cavani, Godin, Muslera, Lugano, il avait certains des plus grands joueurs du monde, il a donc eu de la chance également mais il a travaillé et il a eu des résultats comme la 4ème place à la Coupe du Monde 2010 et la victoire en Copa America 2011.
As-tu joué avec Tabarez?
Au tout début oui. 2006 je pense ou 2007. Je me suis entraîné avec lui. Il était très bon. Un homme intéressant!
Comment se déroule le processus de formation des jeunes en Uruguay et avez-vous une place pour le futsal dans le développement des jeunes?
Au futsal, non ! Ici, nous jouons au Foot à 5 car le futbol sala est un football en salle.
Vous ne faites donc pas comme les Brésiliens à jouer les deux en même temps?
Futbol sala, non! Mais Futbol Five en gazon synthétique, oui! Même si l’Uruguay a inventé le Futbol sala, ce n’est pas très utile ici pour jouer et les joueurs professionnels ne jouent pas au futbol sala! Nous jouons au Foot à 7 par contre comme vous au Canada. J’ai joué avec l’équipe nationale il y a deux ans lors de la Coupe du monde au Guatemala puis nous avons joué en Equateur.
Un mot sur cette garra charrua qui vit dans chaque joueur qui porte le maillot national et sur vos tâches de vice-président de Defensor Sporting.
La garra charrua c’est notre identité. Vous perdez la partie lorsque l’arbitre donne les trois coups de sifflets! Avant, jamais ! Vous vous battez, battez, battez quatre-vingt-quinze minutes et vous vous entraînez pour gagner! Je le répète, vous vous entraînez pour gagner. Cette mentalité c’est ça la garra charrua. Nous sommes très petits en moyenne donc il faut nous battre pour exister!
Le niveau de la Major League Soccer. Pensez-vous que la MLS est intéressante pour un joueur uruguayen?
Pourquoi pas? Cette ligue, grandit et grandit encore et au cours des deux dernières années, de très bons footballeurs uruguayens se sont rendus en MLS.
Votre avenir avec le Defensor Sporting. Vous êtes cinquièmes du championnat Apertura. Alors, quels sont vos plans?
Gagner bien entendu mais aussi faire du Defensor Sporting un club sur le modèle européen: une équipe moderne avec la technologie !
Échangeriez-vous votre titre de champion avec Galatasaray contre une victoire en Copa America?
Freddy, l’équipe nationale ça reste l’équipe nationale, alors oui. L’Uruguay est mon pays, donc une victoire avec l’équipe nationale définitivement ! (Rires)
*Abdon Porte était un footballeur uruguayen. Il a joué comme milieu de terrain défensif. Surnommé El Indio, il a remporté de nombreux titres avec son club Nacional, ainsi qu’une Copa América avec l’équipe nationale d’Uruguay. Il s’est suicidé le 5 mars 1918, en se tirant une balle dans le centre du terrain de l’Estadio Gran Parque Central parce qu’il était sur le banc depuis que l’entraîneur lui a dit qu’il devait rester sur le banc pour toute la saison. Un incident qui est toujours remémoré par la communauté sportive de l’Uruguay.