C’est décidé : je rentre au pays ! par Edwige Suzon
Aéroport de Yaoundé-Nsimalen, 13 août 2001. Une famille plutôt nombreuse se presse autour d’une jeune femme au regard pétillant d’excitation. Son père, à la fois fier et ému, lui prodigue quelques derniers conseils : « Donne régulièrement des nouvelles, concentre-toi sur tes études, et surtout n’oublie jamais d’où tu viens. Quand tu auras fini tes études, reviens ici pour utiliser ton savoir afin de faire fructifier la terre qui t’a vue grandir ». Tiraillée entre l’enthousiasme et la peur de l’inconnu, anxieuse face à cette nouvelle vie qui l’attend, elle embrasse tout le beau monde assemblé là : parents, sœurs, frères, cousines, copines tout le monde est là ou presque. Même le voisin d’en face a fait le déplacement pour saluer son départ. Un peu plus tard, alors que notre jeune femme vibre au rythme de l’avion qui prend son envol, sa mère écrase discrètement une larme en l’entendant s’éloigner de sa ville, de son pays.
Beaucoup plus loin, beaucoup plus tard… au terme de multiples nuits blanches à travailler d’arrache-pied, après des quantités impressionnantes de pizzas et de surgelés ingurgités, des rames de papier gribouillées à produire des devoirs, des examens plus ou moins brillamment passés, la voici, diplôme en poche. Le monde s’ouvre à elle! Lancera-t-elle une fléchette à l’aveuglette vers une mappemonde pour décider du lieu où elle posera ses valises? Suivra-t-elle les consignes de ses parents, en rentrant promptement au pays? Ou alors sera-t-elle séduite par un poste dans sa ville d’adoption? Après tout, elle y a passé les années les plus enrichissantes de sa vie; c’est là qu’elle est devenue une femme. Et puis, là-bas, il faudra réapprendre le système, et peut-être sacrifier confort et conditions de vie. Bref, le choix n’est pas évident! Pourtant, certains l’ont fait. Au terme de leurs études, ou quelques mois plus tard, ils ont décidé d’aller tenter leur chance dans leur pays d’origine. Et ils ont accepté de partager avec nous leur expérience née du rêve de réaliser quelque chose de significatif et nourrie par leur ambition de réussir chez eux.
Une décision bien motivée
Abidjan PlateauPour la plupart des personnes interrogées au cours de cette enquête, il n’a jamais été question de s’installer à l’étranger. Bien sûr, plusieurs d’entre nous se sont souvent promis, plus ou moins résolument, de ne rester que quelques années, le temps de gagner une bonne expérience professionnelle pour s’assurer une meilleure intégration une fois rentrés. Par contre, ceux que nous vous présentons ont décidé de sauter le pas, une fois leur diplôme en poche. Mais quelles étaient donc leurs motivations?
L’amour de la patrie et l’influence de la famille ont indubitablement joué un rôle. Pour Didier, particulièrement attaché à son village, il était inimaginable de vivre longtemps loin de sa famille. D’ailleurs, ses parents l’ont vivement encouragé à rentrer. Sylviane, quant à elle, a été confortée dans sa décision par la volonté de retour de son conjoint et le fait d’avoir trouvé un emploi. Chantal, autre amoureuse de son pays d’origine, confie ceci : « J’ai vécu sept années en Europe (France et Belgique) et pour moi c’était déjà beaucoup! Il n’y a pas eu de réel déclic puisqu’au cours de mes études, je projetais déjà de retourner au pays ».
Par ailleurs, plusieurs étaient mus par une volonté de contribuer au développement de la terre qui les a vus naître et grandir. C’est ce qu’Eddy explique lorsqu’il déclare : « Je me suis toujours dit que vu que nous sommes en retard sur le reste du monde, il est donc de mon devoir de prendre la connaissance hors de mes frontières et de faire profiter mon pays et mes compatriotes qui n’ont pas l’opportunité de voyager pour l’étranger ». Samuel, qui avait reçu comme instruction de ses parents de revenir chez lui une fois sa quête de savoir accomplie, explique : « Après mûre réflexion, je me suis dit qu’un ingénieur de plus n’apporterait pas grand-chose à la marche de la Nation canadienne ». Il a donc décidé de prendre son vol retour, afin de participer au changement nécessaire au Cameroun pour asseoir sa véritable indépendance et sa prospérité économique.
Si pour certains le retour au pays après les études était inéluctable, pour d’autres il a plutôt été précipité par des conditions professionnelles inintéressantes dans le pays d’accueil. C’est le cas de Nadia dont des perspectives limitées d’évolution professionnelle se sont ajoutées à une socialisation difficile constituant ainsi une ambiance de vie assez précaire. Eva aussi a fait le choix du retour à la suite d’une longue période de chômage. Alors, pourquoi se sentir mal à l’étranger, quand on peut tenter sa chance chez soi, en ayant au moins la garantie de bénéficier du coussin social?
Rentrer au pays en a également attiré plusieurs en raison des opportunités nombreuses qui s’offrent à ceux qui font le saut. Pierre s’est fié à son analyse de la conjoncture socio-économique indiquant qu’« un grand nombre de la population active irait en retraite dans les 5 ans à venir. Et le meilleur moyen de se positionner dans le circuit professionnel était à mon sens la période de mon retour ». Eddy demeure convaincu que « l’avenir est chez nous. Il y a tant de choses à faire, à créer, tellement d’opportunités; il faudrait donc en profiter ». Ce à quoi Didier ajoute que les bases solides permettent à tout jeune qui n’a pas peur de travailler dur d’entrevoir le futur avec assurance au Cameroun.
Préparation pour un retour réussi
Aéroport de DoualaPourtant, si la décision ne semble pas avoir été ardue à prendre, on peut tout de même s’interroger sur la préparation effectuée par ces jeunes avant de se lancer dans l’aventure. Après tout, il n’est pas toujours évident de quitter la vie réglée comme du papier à musique, ni le confort des pays occidentaux dans lesquels ils étaient installés. Alors, se lève-t-on tout simplement un beau matin, pour sauter dans le premier vol direction Abidjan ou Douala? C’est presque ce qui s’est passé dans la vie de Pierre où tout s’est enchaîné plutôt rapidement. Après obtention de son diplôme, il décroche un poste dans son pays de résidence, tout en déposant ses demandes d’emploi au pays. À peine un an plus tard, il reçoit une réponse favorable et le choix lui paraît évident. Eddy, qui s’est également jeté à l’eau, mais sans aucune garantie d’emploi avant de rentrer, souligne ceci : « J’ai croisé beaucoup de compatriotes qui se “préparent” pendant 10 ans, sans jamais faire le pas. Évidemment, on se prépare un minimum quand même, on se renseigne sur les entreprises, les opportunités, les villes où il serait intéressant de s’installer; on utilise les relations que l’on peut avoir sur le terrain (amis, familles, etc.) Il faut aussi penser aux finances et faire des économies parce que le travail ne nous tendra pas les bras dès notre arrivée ».
Pour d’autres, la préparation a aussi été mentale et elle avait pour but de ne pas se sentir trop dépaysé une fois plongé dans la réalité locale. Didier avoue que sa stratégie de retour s’est étalée sur plusieurs années. « Le retour au pays n’est pas évident lorsqu’on a passé plusieurs années à l’étranger, dans une société dont on a acquis les réflexes et qui progressivement prennent le dessus sur nos habitudes quotidiennes. Pour éviter ce piège, je rentrais régulièrement au pays pour éviter d’être un étranger chez moi ». Eva et Samuel, quant à eux, ont d’abord profité d’une remise dans le bain de quelques mois avant de rentrer pour de bon. Ceci leur a permis de tâter le terrain, de cerner exactement ce qu’ils voulaient faire et de planifier comment ils allaient procéder pour l’exécuter. Pour Samuel, cette période préparatoire a également permis « d’élargir mon réseau de contacts dans le secteur d’activité qui est le mien ». Selon Chantal, « on se prépare tout d’abord dans la tête puisqu’on se pose quand même des questions; on se demande si l’on fait le bon choix en retournant au pays. Donc il y a quand même des moments de doute. Dans mon cas, l’envie de retourner au pays était plus forte et a pris le dessus ».
Déterminés à poursuivre et réaliser leur rêve africain, ces jeunes gens ont donc sauté à bord d’un vol à destination de chez eux. Dans la suite de cette série, Chantal, Eva, Nadia, Sylviane, Armel, Didier, Eddy, Pierre et Samuel relatent comment s’est effectué le retour aux sources : évidente intégration professionnelle pour certains et repositionnement obligé pour d’autres. Ils évoquent avec beaucoup d’enthousiasme les atouts qu’ils avaient dans leur manche, ainsi que les obstacles auxquels ils ont dû faire face.
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Cet article a été rédigé par Edwige Suzon du blog Ora Magzine
Bio de Edwige : Le silence est d’or, mais je m’exprime quand même…
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