Avant-propos: s’inspirant allègrement de la Holi (fête des couleurs) en Inde, la Color Run est une course annuelle de 5 km animée par des jets de farine colorée sur les participants.
J-2 le retrait des dossards.
À 19h, attroupement à l’hôtel de ville où s’agglutinent un cheptel de parisiens dans une énorme tente de festival dressée pour l’occasion. Il nous fut conseillé de venir récupérer le paquetage de course au préalable afin d’éviter la cohue et donc de mourir écrasé le jour J. C’est ainsi que je me suis ramassé trente minutes de queue pour récupérer un foutu sac de goodies (lunettes de soleil qui ne protègent pas, bandeau frontal, t-shirt éthiopien, dossard n° 351 imprimé sur du papier toilette).
A « l’accueil », impossible de louper les nombreux stands de sponsors qui se manifestent à renforts d’hôtesses en mini-jupe et sono assourdissante. Mission réussie car des files impressionnantes de “sportifs” se forment pour gratter des choses gratuites, sur ma droite par exemple, ils offrent des verres de jus aux colorants (dans le thème). Je fonce tête baissée pour éviter ceux que le marketing a déjà trépané et pas de chance, une inconnue m’arrête “Ana sa jabar, c’est toi?”. C’est Lucie, la fille la plus inintéressante de ma terminale (et certainement de la planète), elle me reconnait et me tape la discute. Ces 3 minutes avec ce stéréotype du genre de meuf qui fait une bouffe chez elle, et qui laisse tourner en fond sonore BFM TV en BOUCLE pendant tout le repas, anéantiront mes dernières étincelles de philanthropie. Je n’étais pas au bout de mes surprises…
Ça, c’est le vrai Holi avec tout plein de gens pauvres
H-1. Transhumance.
Il fait moins de 8 degrés, et on se les gèle à attendre les retardataires. Le marketing solaire des vidéos de promo (climat cubain, joie et amour qui déborde du streaming) n’aura pas suffi à réchauffer les participants. Mais au moins, on a une de la chatte, il n’y a pas un nuage à l’horizon, juste un petit vent qui chatouille les testicules. Pour l’occasion, la foule s’est grimée avec le combo t-shirt blanc-lunettes-bandeau pour consensuellement avoir la même face de pet. Si je perds les gens de mon groupe, sur que je ne les retrouverai jamais.
Nous gagnons finalement les quais et descendons sur les berges (bloquées à la circulation), où nous cheminons pendant vingt bonnes minutes. Cette balade me frigorifie jusqu’à ce que nous tombions sur le podium Bouygues télécom et ses danseuses canons exécutant moult exercices d’échauffement en agitant leur cul sur de la mauvaise house. Le public se plie au jeu (manquerait plus qu’il y en ait qui se claquent), moi je préfère profiter du spectacle. Une fois dans le sas de départ, les participants sont invités à partir par vagues successives, un chauffeur de salle sapé comme un rappeur de Neuilly tente de galvaniser la masse en hurlant au micro qu’à Marseille, ils étaient beaucoup plus « chauds » qu’ici. Bien tenté, sauf qu’ici c’est Paris, mec, et qu’il n’existe rien dans l’univers de plus hautain qu’un parisien, la provoc’ tombe fait donc un flop. Pour encourager le mec, j’hurle tout de même « ouais, mais à 10h du mat’ à Marseille, on est déjà bourré ! ».
Après la Color Run, la Colored Run (blague intraduisible en anglais)
Le mur du premier kilomètre…
Et c’est parti! Pour bien débuter, il nous ont foutu un tunnel ambiance Daylight, idéal pour se mettre en jambes. Départ fusée à 10 km/h, cela suffit à larguer le groupe, et au bout de 200 m, je rencontre un premier banc de baleines échouées, principalement des filles qui n’ont pas supporté cette première rencontre avec le sport, et qui se demandent comment elles vont terminer les 4800m restants jusqu’au métro sans l’assistance de la voiture-balai… Au bout du tunnel, le premier “check point couleur” (pas trouvé de nom moins con). Dans un corridor de vingt mètres environ des types trop souriants pour être sincères vident sur nos gueules de pigeons des gourdes de poudre jaune qui fait tousser, mon voisin de course me fait flipper en me gueulant “surtout ouvre pas la bouche sinon tu choperas le cancer comme ces connards!”. Evidemment, je ne veux pas choper le cancer alors je tape un sprint en zigzagant entre les empoisonneurs et en bousculant les affreuses pécores. Je suis indemne, j’ai fermé yeux, bouche et narines pendant la traversée.
On m’explique qu’en fait, ce produit nauséabond n’est pas toxique puisque fait à partir de fécule de maïs… C’est ça, prends moi pour un dragibus ! T’as déjà vu des maïs bleu pousser en bas de chez toi peut-être?
Sur le quai François Mitterrand, un petit manège se met en place: j’en vois en train d’enjamber le petit talus séparant deux positions de la course se rejoignant après un virage en épingle. Tout ça, pour gagner au mieux 300 mètres… Ces grands terroristes dominicaux encore émoustillés par leur acte transgressif, sont en train de pouffer de rire comme des morveux trop contents d’avoir grugé un système qu’ils ont eux-mêmes contribué à faire émerger. Absolument édifiant !
Kilomètre 2 : une forêt de verges…
Au kilomètre 2 (ça fait tellement pitié de dire ça), je réalise que je suis en train de passer à côté de mon Color run à 40 boules. Alors putain, arrosez-moi! Au milieu de cette fumée rouge, j’agresse les emplois jeunes en leur gueulant dessus. Ça marche, ils vident leurs chargeurs sur ma personne, en m’assurant qu’ils ne loupent pas un seul centimètre carré de ma peau. Cependant, l’un d’entre eux fait mine de ne pas me voir et préfère s’occuper de deux jeunes filles, l’enflure ! Je déboite à gauche, et le lui fais remarquer “Et moi, je pue c’est ça?”.
Les coureurs sont principalement caucasiens (remarque totalement gratuite et xénophobe), elle se trouve très belle, puisqu’elle s’arrête toutes les deux minutes pour se tirer le portait avec leurs verges à selfies (néologisme justifié ici puisque plus t’en as une longue, plus t’as une tête de con). Sauf que tout ce beau monde s’agrège par paquet de 10 et provoque des embouteillages monstres. Lesdites personnes partagent même l’heureux évènement en direct live, courant le risque de se vautrer comme des merdes, mais peu leur en chaut puisque pour leurs fans:
- ils sont beaux
- ils font du sport (même le dimanche)
- ils sont entourés de gens so open-minded
- leur vie est un rêve éveillé
Si à la Color run, t’as pas fait un selfie, c’est que t’as raté ta vie.
Kilomètre 3 : l’agression
À l’approche du km 3. Un noir en short qui voulait certainement se faire passer pour un blanc en se vidant un tonneau entier de fécule de maïs sur la tête, me fonce dessus pour me faire un hug. MAIS IL EST PAS BIEN, LUI!!????? À la manière d’un demi de mêlée je crochète et plaque la paume de ma main sur sa tronche de sale violeur pour stopper net l’agression. Mais que fait la sécurité ?
Kilomètre 4: Much ado for nothing…
Ça y est, le dernier « check point couleur » ! Suivi d’un ralentissement inattendu, tout le monde sans exception a levé le pied, certains en profitent même pour s’assoir. Mais qu’est-ce qui a pu stopper nette cette vague humaine? Le retour du tueur du marathon de Boston? Miley Cirus en dédicace sur les quais? Trois secondes inédites du prochain Star Wars? Non, juste une pente avec un dénivelé de 8 mètres (un calvaire pour les mollets, ça). On rejoue Titus Andronicus dans les esprits et ça tempête dans les rotules. L’ascension était vraiment trop dure…
Allez zou, les feignasses, direction le service réanimation.
Kilomètre 5, viens, à l’école des champions (air connu)….
Comme Gandalf dévalant sur son destrier blanc vers le gouffre de Helm, un halo de lumière a jailli . La ligne d’arrivée netait plus qu’à cinq foulées, et on a vu des paraplégiques se transformer en airbus, des pets de ragondins se muer en comètes à neuf queues. Ce n’étaient plus des joggeurs sur la piste mais des athlètes spartiates, des éphèbes du running, des apôtres de la voute plantaire qui franchirent triomphalement le rubicond. Un exploit qu’ils pourront assurément narrer à leurs petits enfants.
A peine remis de nos (fortes) émotions, des jeunes femmes-sandwich nous tendent notre récompense : une bouteille d’eau, une crêpe au chocolat sous blister et un sachet de fécule de maïs. Pile dans l’axe Eiffel tower-Trocadéro, une scène a été montée. Et sur ses planches, un speaker se raye la voix pour que les gens gardent les yeux rivés sur l’écran qui affiche un compte à rebours de vingt minutes. Voilà donc l’utilité du sachet de maïs, au signal un lancer général est annoncé sauf qu’avec des munitions distribuées au compte-goutte, l’orgie chromatique promise fait l’effet d’une trique furtive, et le pire c’est que j’avais déjà vidé ma semence colorée sur la chevelure de ma voisine de droite bien avant la sauterie finale. Grosse expérience humaine. Dommage, moi pensait qu’on cesserait d’être passifs…
Pendant ces dix minutes, tout le cortège des sponsors y passe, à grands renforts d’anaphores musicales pour des marques de pèse-personnes, de junk food, de torche-cul et de déodorants. L’opération fait peine à voir, on a juste l’impression que les chargés de comm’ se sont retenus pendant toute la course pour déverser leurs diarrhée mercatique sur nos gueules, annihilant, le peu de subtilité commerciale qu’ils avaient insufflé jusque-là.
Et c’est bien dommage car l’idée initiale de marchandisation du Holi était excellente, mais la concrétisation ne ressemble qu’à un bel euphémisme. Enfermer les 25000 coureurs dans un stade et de balancer par hélico 150 tonnes de colorants et des pochons de coke pendant un concert de Coldplay aurait été plus judicieux. Là, on aurait vraiment vu des gens se rouler dans leur fange céréalière et des vrais éclats de rire d’enfants qu’ils devraient rester…
Article dédié à Lola, mon amour des JMJ.
Les premières crampes au kilomètre 2, ça ne pardonne pas.