Défis africains et développement par Thierry Amougou
L’Afrique subsaharienne partage avec les pays émergents la caractéristique d’avoir enregistré un taux de croissance élevé avant la crise des crédits hypothécaires de 2007 et après celle-ci.
Il en résulte une renaissance de la dimension économique de l’afro-optimisme sur le développement du continent. Mais quels défis l’Afrique doit-elle relever afin que l’émergence économique y coïncide avec le développement ?
1) Le défi de la diversification des sources de la croissance.
Les investisseurs internationaux ne jurent plus que par l’Afrique : un continent d’avenir avec le second meilleur retour sur investissement au monde. Le continent noir a, en effet, un taux de croissance moyen de 5 % depuis l’an 2000, malgré son fléchissement à 3,5 % en 2012, suite à la crise mondiale. On pense en premier à la Chine et à d’autres émergents lorsqu’on parle de croissance, alors que les champions du monde sont africains : la Guinée équatoriale et l’Angola sont fréquemment au-delà des 10 %, la Gambie, la Zambie, le Mozambique et le Ghana ont, en 2013, un taux de croissance avoisinant les 8 %.
Mais alors que les pays émergents ont largement diversifié leurs structures productives, les pays africains ont toujours une croissance erratique et fragile, parce que largement dépendante des cours mondiaux des matières premières et des produits de rente. Les déterminants de la croissance africaine montrent qu’en dehors de l’Afrique du Sud, aucun pays africain n’a construit un modèle productif diversifié capable de créer de la richesse de façon indépendante des produits de rente. C’est donc toujours l’extraversion et la dépendance qui dominent. Les moteurs exogènes de la croissance africaine sont donc la croissance des pays émergents et la consommation des matières premières qu’elle entraîne, les investissements directs étrangers, et la conjoncture mondiale favorable aux termes de l’échange : ce sont des externalités positives de la mondialisation.
La bonne santé économique qu’affichent de nombreux pays africains est donc une croissance purement nominale au sens d’entrée de devises. D’où l’enjeu de l’affectation des réserves de changes actuelles par rapport à l’objectif de diversification, sans oublier le soutien aux moteurs indigènes de la production des richesses.
2) Le défi de la répartition équitable des fruits de la croissance.
Tomber dans le fétichisme de la croissance économique, qui deviendrait une fin pour elle-même sans effets positifs sur le bien-être des populations, est un écueil à éviter. “Nous ne voyons pas cette croissance-là dans nos vies.” C’est ce que déclare l’homme de la rue par rapport à la rengaine des chiffres officiels.
L’Afrique reste le continent le plus inégalitaire au monde avec une polarisation de plus en plus prononcée entre les très riches et les très pauvres, malgré l’émergence d’une classe moyenne dans certains pays comme l’Afrique du Sud. Aucune croissance n’est durable en Afrique avec de tels écarts de revenus, car la majeure partie de la population n’a pas le minimum requis pour consommer et faire tourner l’économie. Qu’un taux positif de croissance qu’affiche un pays africain traduise quelque chose de concret dans la vie réelle des populations, implique de reconnaître qu’il y a un grand écart entre ce que dit un indicateur métrique comme le PIB, dans un environnement où le mesurable est encore marginal, et les conditions matérielles de production et d’amélioration réelles de la vie. Le calcul des indicateurs en Afrique et leurs significations présentent donc un défi épistémologique majeur pour le futur, si on ne veut pas que, comme en Tunisie, le discours macroéconomique sur les performances économiques positives ne devienne une façon de couvrir le pourrissement politique et sociale d’une société qui, finalement, explose en montrant ainsi la vacuité du discours statistique sans pertinence sur la vie réelle.
3 ) Le défi du passage de la consommation à la production.
Les 54 pays africains représentent un marché de consommateurs de 1,04 milliard d’habitants en 2013. Ce chiffre devrait passer du simple au double d’ici vingt ans en faisant de l’Afrique le berceau de 20 % de la population mondiale. Si cette puissance démographique est un atout, il faut néanmoins noter qu’elle est aussi une bombe à retardement, car l’Afrique, notamment la partie subsaharienne, consomme tout et ne produit rien en dehors des produits vivriers. C’est l’innovation, la conception et la distribution qui sont aujourd’hui porteuses dans un commerce mondial où la logique coloniale de complémentarité dans laquelle sont encore englués les Etats africains est battue en brèche par les échanges intrabranches entre pays se concurrençant dans les mêmes segments hauts de production.
La question de la diversification des structures productives est donc liée à celle de l’affectation des surplus actuels, elle-même liée à celle de la monnaie qui, elle-même, joue un rôle majeur dans le développement financier, lui-même central dans la mise en place des productions locales via la promotion d’une industrialisation du continent. Avec plus de la moitié de la population âgée de moins de 20 ans, l’Afrique doit éviter d’être pauvre avant d’être vieille.
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Thierry Amougou Macroéconomiste, enseignant-chercheur, Centre d’études du développement&CriDis, UCL