Du rôle des mythologies africaines par André-Yanne Parent
« Les siècles modèlent tour à tour, en fonction de leurs options propres, les gloires nationales, qui ne forment pas un panthéon immobile, mais une réserve de mythes fluctuants et fugaces » (Beaune, 1985, 342).
Bien que longtemps associés à l’enfance de la pensée et aux peuples dits «primitifs», les mythes sont aujourd’hui reconnus pour leurs fonctions sociales et culturelles. Dès lors, le mythe s’est vu attribuer son propre « logos » : le discours sur le mythe ou mythologie est apparu, le faisant glisser de la tradition orale à la tradition écrite. Il fut alors possible de se renseigner sur les mythes du monde entier, et les ressemblances apparurent frappantes. Au-delà des frontières culturelles et des époques, les thèmes des mythes se font écho. La création de la terre, l’origine de la civilisation, la conquête du feu, la condition humaine en sont quelques exemples.
Ces thèmes sont révélateurs d’une des fonctions du mythe qui consiste à tenter de répondre aux questions existentielles des hommes. Le mythe de la création de la terre cherche à résoudre l’une des plus grandes interrogations humaines : comment le monde a-t-il existé? Dans « Mythologie africaine » de Parrinder , on rencontre souvent un « dieu créateur » qui va façonner la terre en véritable sculpteur suprême. On retrouve là l’aspect religieux des mythes. D’ailleurs, les correspondances sont nombreuses avec le passage de la Genèse décrivant la création du monde; comme le « Serpent de l’Éternité », le créateur habitait près des eaux (au-dessus dans la Bible, au-dessous dans le mythe africain); comme dans le mythe des « Jumeaux célestes », le créateur fonde le monde sur des « couples » d’éléments, mais dans le cas de La Genèse, ces éléments sont souvent opposés, telle lumière versus ténèbres-nuit, ou la terre sèche versus les mers, etc.
Toutefois, à la différence du texte chrétien, il semble que le fondateur de l’univers n’est pas toujours tout puissant et infaillible dans la mythologie africaine. On voit dans le mythe yoruba de création de la terre une rivalité entre « Grand Dieu » et le « Créateur »; dans le mythe du « Serpent Éternité », l’alimentation du serpent dépend de la rigueur des singes. Le cas le plus marquant reste celui du mythe pygmée de la conquête du feu où Dieu reconnaît le Pygmée comme son égal. De plus, le créateur rencontre souvent des obstacles rendant la réalisation de son entreprise plus ardue. Dans le mythe « Dieu, la Terre et les Esprits », une termitière empêchait l’union de la terre et de Dieu. L’union s’accomplit quand même, mais le produit de celle-ci se révéla être imparfait : un renard pâle. Ce dernier commit le péché ultime en violant sa mère. Il est difficile de ne pas penser au célèbre mythe d’Oedipe dans lequel Oedipe commet la double faute du parricide et de l’adultère (sans toutefois en être conscient).
La dimension morale et didactique est donc très présente. Les mauvaises conduites des hommes sont exposées et dénoncées. Les hommes à la suite de ces récits tirent un enseignement qu’ils vont plus ou moins intégrer à leur comportement. Par exemple, le mythe « Comment Dieu dispensa les aliments » condamne explicitement « la voracité et l’imprévoyance des hommes ». La valeur de catharsis de ces récits, racontés ou lus, est incontestable. Violence, orgueil, gourmandise, jalousie, rancune étant pratiqués par les héros de ces mythes, ils sont vécus par procuration par l’auditoire ou le lecteur. Le résultat est que leurs passions sont éveillées, mais, puisque réalisées par d’autres par le biais du mythe, déchargées de leur contenu destructeur et pourront alors être « sublimées ».
On se retrouve un peu comme dans une fable où les animaux jouent un rôle symbolique important. Prenons l’exemple du caméléon dans le mythe de la « Création de la terre ». Ses attributs « appuient » le contenu du mythe et le rôle qu’il va y jouer. Il représente un esprit critique minutieux, prudent et observateur; c’est lui qui a été choisi par l’Être suprême pour évaluer l’ouvrage du Grand Dieu. De la même manière, le serpent symbolise l’éternité et l’immortalité; il a été choisi par le Créateur pour soutenir la terre, d’une certaine manière, parfaire son œuvre. Il est intéressant de noter que ce même animal symbolise le mal et la tentation dans la tradition judéo-chrétienne ou encore l’aversion (un des trois poisons de l’esprit) dans le bouddhisme tibétain, donc peut aussi être un symbole négatif.
Cependant, ces symboles et leurs valeurs sont partagés par la communauté à laquelle le mythe est associé. Il s’ensuit que la fonction sociale est inhérente au mythe. Il participe à la cohésion du groupe en donnant des explications pour justifier l’ordre naturel et social du monde. Aussi le mythe « Dieu, la Terre et les Esprits » tente-t-il de fonder et de légitimer les raisons de l’excision et de la circoncision féminine par l’échec de l’union entre Dieu et la Terre, soit l’existence d’un renard pâle. Dans « Comment Dieu dispensa les aliments », ce sont les causes de la famine qui sont mises en lumière en démontrant la voracité et l’imprévoyance des hommes.
À travers l’analyse de la mythologie d’un groupe, on parvient à mieux comprendre et interpréter ce groupe et ses caractéristiques culturelles contemporaines. Le mythe constitue un outil essentiel de l’analyse anthropologique, dont témoignent les nombreux travaux d’anthropologues à ce sujet.
Cet article a été rédigé par André-Yanne Parent.
Bio de André-Yanne : Anthropologue, consultante en recherche et coordonnatrice du Comité Ad Hoc du Réseau pour la stratégie urbaine de la communauté autochtone du Grand Montréal.
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