Comment écrire sur l’Afrique par Binyavanga Wainaina
Binyavanga Wainaina est un jeune écrivain kenyan talentueux que les lecteurs francophones méritent de connaître. Il n’a pas son pareil pour se lancer dans des projets fous, monter des revues comme KWANI , promouvoir du monde au sein du Centre Chinua Achebe pour les Artistes et les Ecrivains Africains qu’il dirige depuis quelques années. Généreux et entreprenant, il fourmille d’idées et de desseins. Caustique, il ne déteste ni les polémiques ni les coups d’éclats pour faire entendre son point de vue. Nouvelliste lauréat du jury Caine Prize, journaliste culinaire, entrepreneur culturel, Wainaina vient de publier son principal ouvrage, un essai salué tout récemment par le New York Times.
L’article dont nous republions un extrait est issu de son brûlot (How To Write About Africa?), écrit à la demande du rédacteur du magazine britannique Granta. Il a fait l’objet de maintes adaptations, discussions et traductions. Binyavanga Wainaina n’a pas fini de nous surprendre. Avis aux éditeurs de France, de Belgique, d’Alger et de toute la planète francophone.
Employez toujours le mot ‘Afrique’ ou ‘Obscurité’ ou ‘Safari’ pour votre titre. Les sous-titres pourront inclure des mots comme ‘Zanzibar’,‘Massai’, ‘Zambèze’, ‘Congo’, ‘Nil’, ‘Gros’, ‘Ciel’, ‘Ombre’, ‘Tambour’, ‘Soleil’ ou ‘Passé’. Il y a aussi des mots utiles tels ’Guérillas’, ‘Eternel’, ‘Primordial’ et ‘Tribal’. A noter que ‘Peuple’ signifie les Africains qui ne sont pas Noirs, alors que ‘Les Peuples’ signifient les Africains Noirs. Pas d’image d’Africain en règle sur la couverture de votre livre ou à l’intérieur, à moins que cet Africain ait gagné le Prix Nobel. Un AK-47, des taquineries, des seins nus, voilà ce que vous devez utiliser. Si vous devez inclure un Africain, assurez-vous que vous prenez un Massai ou un Zoulou ou une robe Dogon.
Traitez l’Afrique comme si c’était un seul pays. C’est chaud et poussiéreux avec des prairies onduleuses et de grands troupeaux d’animaux, de grandes et minces personnes qui meurent de faim. Ou alors c’est chaud et humide avec des gens courts qui mangent des primates. Ne vous enlisez pas dans des descriptions précises. L’Afrique est grande : 54 pays, 900 millions d’habitants qui sont très occupés, qui sont confrontés à la famine, qui meurent, qui se battent et qui émigrent pour lire votre livre.
Le continent est plein de déserts, de jungles, de régions montagneuses, de savanes et de beaucoup d’autres choses, mais votre lecteur ne fait pas attention à tout cela, alors gardez vos descriptions romantiques, évocatrices et non particulières. Assurez-vous que vous démontrez combien les Africains possèdent du rythme et de la musique dans leurs âmes et qu’ils mangent des choses que d’autres humains ne mangent pas. Ne mentionnez pas le riz, le bœuf et le blé ; le cerveau du singe est le choix privilégié de la cuisine africaine, en plus de la chèvre, du serpent, du ver, des larves et de toutes sortes de viande. Assurez-vous que vous démontrez que vous pouvez manger une telle nourriture sans tressaillir et décrire combien vous apprenez à avoir l’appétit -car vous faites attention.
Sujets tabous : des scènes domestiques ordinaires, l’amour entre Africains (à moins que la mort intervienne), les références aux écrivains et intellectuels africains, le fait de mentionner des enfants allant à l’école qui ne souffrent pas de ballonnement, de la fièvre EBOLA ou de mutilation sexuelle.
Dans tout le livre, adoptez une voix douce, en complicité avec le lecteur et un ton triste. Très tôt faites en sorte que votre libéralisme soit impeccable et mentionnez vers le début combien vous aimez l’Afrique, combien vous êtes tombé amoureux de ce lieu et que vous ne pouvez plus vous en passer. L’Afrique est le seul continent que vous pouvez aimer. Profitez-en. Si vous êtes un homme, foncez dans ses chaudes forêts vierges. Si vous êtes une femme, traitez l’Afrique comme un homme qui porte une jacket de brousse et qui disparaît au coucher du soleil. L’Afrique est à plaindre, à adorer et à dominer.
Quel que soit l’angle que vous prenez, soyez sûr de laisser la forte impression que sans votre intervention et votre important livre, l’Afrique est vouée à l’échec. Vos personnages africains peuvent être des guerriers nus, des fidèles serviteurs, des devins, des prophètes, des sages d’un âge vénérable vivant dans une splendeur hermétique. Ou des politiciens corrompus, des polygames ineptes, des guides de voyage et des prostituées qui ont couché avec vous. Le fidèle serviteur se comporte toujours comme un enfant de 7 ans et a besoin d’une main ferme, il a peur des serpents, il est bon avec les enfants, et il vous implique toujours dans son drame domestique complexe. Le vieux sage vient toujours d’une tribu noble (pas les tribus faucheurs d’argent comme le Gikuyu, le Igbo ou le Shona).
Il a des yeux bizarres et proche de la Terre. L’Africain moderne est un gros homme qui vole et travaille dans un bureau, refusant de donner les permis de travail aux Occidentaux qualifiés qui sont réellement attentifs à l’Afrique. Il est un ennemi du développement, se servant toujours de sa position au gouvernement pour rendre la vie difficile aux pragmatiques expatriés pour créer des organisations non-gouvernementales ou des zones de Protection Légales. Ou alors c’est l’intellectuel sorti d’OXFORD transformé en politicien tueur en série dans un costume de Savile Row. Il est un cannibale qui aime le champagne Christal, et sa mère est une riche sorcière qui dirige réellement le pays. Parmi vos personnages vous devez toujours inclure l’Africain qui meurt de faim, qui vagabonde dans un camp de réfugiés. Presque nu, il attend la bienveillance de l’Occident. Ses enfants ont ouvert leurs paupières et leurs ventres mais ses seins sont plats et vides. Elle doit paraître complètement impuissante. Elle ne peut pas avoir un passé, ni une histoire; de telles diversions ruinent le moment dramatique. Les gémissements sont bons. Elle ne doit jamais dire quelque chose sur elle-même dans un dialogue, excepté parler de sa souffrance.
Soyez aussi sûr d’inclure une chaleureuse et maternelle femme qui a le sourire et qui se soucie de votre bien-être. Appelez-la ‘Mama’. Ses enfants sont tous des délinquants. Ces personnages doivent bourdonner autour de votre principal héros, le rendant fascinant.
Votre héros peut les enseigner, les nourrir, il porte beaucoup de bébés et a vu la mort. Votre héros c’est vous ou une belle et tragique célébrité internationale (si c’est un reportage), ou un aristocrate qui sait prendre soin des animaux (si c’est une fiction).
Les mauvais personnages de l’Occident doivent inclure les enfants des ministres des conservateurs, des Afrikaners, des employés de la Banque Mondiale. Quand il faut parler de l’exploitation par des étrangers, il faut mentionner les Chinois et les commerçants indiens. Il faut blâmer les Occidentaux concernant la situation de l’Afrique. Mais ne soyez pas trop spécifiques.
Les grands coups de brosse sont bons. Evitez d’avoir des personnages africains souriant et luttant pour éduquer leurs enfants ou faites le dans des circonstances banales. Donnez leur une idée éclairée sur l’Europe ou l’Amérique en Afrique. Les personnages africains devraient être pittoresques, exotiques, plus larges que la vie mais vides à l’intérieur : pas de dialogue, pas de conflits ou de résolutions dans leurs histoires, pas de profondeur ou de bizarreries. Cela porterait préjudice à la cause.
Décrivez en détail les seins nus (jeunes, vieux, conservatrices, violées récemment, gros, petits) ou ayant subies des mutilations génitales ou des organes génitaux améliorés. Ou n’importe quelle sorte d’organes génitaux. Et les morts aussi. Ou mieux des morts nus. Et spécialement les corps pourrissants. Rappelez-vous, tout travail que vous soumettrez, dans lequel les gens paraissent grossiers et misérables, fera allusion à la vraie Afrique et vous voulez cela sur votre jacket poussiéreuse. Il ne faut pas avoir mal au cœur à propos de cela : vous êtes en train d’essayer de les aider à avoir le soutien de l’Occident. Le plus grand tabou en écrivant sur l’Afrique c’est de décrire, de montrer des Blancs morts ou des Blancs qui souffrent.
D’autre part, les animaux doivent être traités comme des personnages complexes. Ils parlent (ou grognent pendant qu’ils redressent fièrement leurs crinières) et ont des noms, des ambitions et des désirs. Ils ont aussi des valeurs familiales : regardez comment les lions enseignent leurs petits, les éléphants sont très attentifs, de bons féministes ou de dignes patriarches. Les gorilles aussi.
Il ne faut jamais dire quelque chose de négatif à propos d’un éléphant ou d’un gorille. Les éléphants peuvent attaquer les maisons, détruire les plantations et même tuer des personnes. Soyez toujours du côté de l’éléphant. Les grands chats ont des accents. Les hyènes sont raisonnables et ont de vagues accents du Moyen Orient. Tout Africain, surtout de petite taille, vivant dans la jungle ou dans le désert, peut être photographié, sourire aux lèvres (à moins qu’il soit en conflit avec un éléphant, un chimpanzé ou un gorille, auquel cas il est un pur diable). Après les activistes célèbres et les officiels des agences d’aide, les protecteurs de la nature sont d’importantes personnes en Afrique. Ne les offensez pas. Vous avez besoin d’eux pour qu’ils vous invitent dans leurs 30.000 ranches ou les zones de conservation, et c’est l’unique moyen que vous aurez pour interviewer ces célébrités. Souvent la couverture d’un livre avec l’image d’un héroïque protecteur de la nature est magique pour la vente. N’importe quel Blanc, bronzé et portant un kaki qui a une fois eu une antilope apprivoisée ou une ferme est un protecteur de la nature, quelqu’un qui préserve le riche héritage de l’Afrique. Lorsque vous l’interviewez, qu’il soit un homme ou une femme, ne lui demandez pas quel financement il a, ne demandez pas combien d’argent il gagne de son ‘jeu’. Ne demandez jamais combien il paye à ses employés.
Les lecteurs seront désintéressés si vous ne mentionnez pas la lumière en Afrique. Et les couchers du soleil. Le coucher du soleil africain est une obligation c’est toujours gros et rouge. Il y a toujours un grand soleil. Des espaces larges et vides et des cas critiques. L’Afrique, c’est la terre avec de larges espaces vides. Lorsque vous écrivez sur la situation critique de la flore et de la faune, assurez-vous que vous mentionnez que l’Afrique est surpeuplée. Lorsque votre principal personnage est dans un désert ou dans la jungle, vivant avec les Indigènes (toute personne courte), c’est bon de mentionner que l’Afrique a été sévèrement dépeuplée par le SIDA et la Guerre (utilisez les lettres en majuscule).
Vous avez aussi besoin d’un Night Club appelé TROPICANA, où mercenaires, diables de nouveaux riches Africains, prostituées, guérillas et expatriés habitent. Terminez toujours votre livre par Nelson Mandela en disant quelque chose sur les arcs-en-ciel ou les renaissances. Parce que cela vous préoccupe.
(Pour la reproduction et la traduction, nous remercions chaleureusement la publication panafricaine Pambazuka http://www.pambazuka.org/fr/issue/1 ).
httpv://www.youtube.com/watch?v=c-jSQD5FVxE