A en croire les Français, il y aurait de plus en plus d’immigrés et ils seraient de moins en moins bien intégrés. Des idées reçues qui ont la vie dure, alors qu’elles ne correspondent pas à la réalité. Petite mise au point.
Les Français sont de plus en plus intolérants. C’est ce qui ressort du dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), publié le 1er avril. Un sondage réalisé par l’institut BVA, qui accompagne ce rapport, est en effet préoccupant: 16 % des personnes interrogées (1) font part de leur inquiétude vis-à-vis de l’immigration, soit 6 points de plus qu’en 2002. Par ailleurs, 74 % des sondés jugent qu’il y a trop d’immigrés en France, en hausse de 15 points par rapport à 2011 et de 18 points par rapport à 2010 et 76 % des personnes interrogées pensent que leur nombre a augmenté au cours des dix dernières années (+ 7 points depuis 2011). Quant à l’intégration, ils sont 63 % à juger qu’elle fonctionne mal (+ 7 points depuis 2012). Cette crispation à l’égard de l’immigration n’est malheureusement pas très étonnante en période de crise. Le problème, c’est que ces représentations sont très éloignées de la réalité.
1. Non, la France n’est plus un pays d’immigration massive
On entend en effet souvent dire que la France subirait une immigration massive. Les chiffres révèlent une autre réalité : avec le Japon et la République tchèque, la France est au contraire devenue ces derniers temps l’un des pays les plus fermés de l’OCDE, le club des pays riches.
L’Hexagone délivre en effet chaque année environ 200 000 titres de séjour de plus d’un an, un niveau stable depuis le début des années 2000. Il ne s’agit bien entendu que de l’immigration légale et extra-européenne. Ce chiffre ne prend donc en compte ni les étrangers en situation irrégulière ni les ressortissants de l’Union européenne (dont le flux annuel est estimé à 55 000 personnes par l’Ined).
Est-ce beaucoup ? En 2011, ces entrées ont représenté 0,33 % de la population française, un des taux les plus bas de l’OCDE. En Allemagne, près de 300 000 ressortissants étrangers ont été accueillis cette année-là, plus de 320 000 au Royaume-Uni…
Il s’agit là des nouveaux arrivants. Or, chaque année, des personnes quittent aussi le territoire français. Si on s’intéresse au solde migratoire, c’est-à-dire la différence annuelle entre les entrants et les sortants, celui-ci est évalué par l’Insee à 62 000 personnes en 2012 en France métropolitaine. C’est un peu plus qu’au milieu des années 1990 (40 000), mais deux fois moins qu’en 2003, et trois fois moins que dans les années 1960, alors même que la population totale était alors plus limitée. Le solde migratoire est aussi quatre fois et demie plus faible que le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès. Autrement dit, l’immigration ne contribue qu’à hauteur de 16 % à l’accroissement de la population française, contre 70 % en moyenne dans l’Union européenne en 2011. Il n’y a donc pas de signe tangible d’une accélération des flux migratoires.
Mais qu’en est-il du “stock”, c’est-à-dire du nombre d’immigrés présents sur le territoire ? En 2010, la France comptait 5,5 millions d’immigrés (*) , selon l’Insee, soit 8,5 % de sa population. Pour pouvoir faire des comparaisons internationales, il faut adopter une définition un peu plus large, celle de l’OCDE, qui prend en compte toutes les personnes ayant franchi au moins une frontière depuis leur naissance, donc y compris les Français nés à l’étranger, et notamment les rapatriés d’Algérie. En 2011, ces personnes représentaient 11,6 % de la population française. Une proportion plus faible qu’au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Espagne ou en Suède.
Bref, la France n’est plus aujourd’hui un grand pays d’immigration. Elle l’a été, mais cela remonte aux périodes de l’entre-deux-guerres et des Trente Glorieuses. De fait, 70 % des immigrés présents aujourd’hui dans l’Hexagone y sont arrivés depuis plus de dix ans.
D’où vient alors ce fantasme d’une immigration massive ? Deux éléments peuvent contribuer à l’alimenter : la concentration d’une proportion importante de la population immigrée sur une petite partie du territoire (l’Ile-de-France, le pourtour méditerranéen, Rhône-Alpes et l’Est) et la confusion qui est souvent faite – à tort ! – entre immigrés et enfants d’immigrés.
Si la France est l’un des pays européens où les flux migratoires ont été les plus faibles au cours des dernières décennies, la proportion d’immigrés et de descendants d’immigrés y est, en revanche, la plus forte d’Europe : 27 % en 2008, contre 17 % en moyenne dans l’Union, 20 % en Espagne, 22 % en Allemagne, 24 % au Royaume-Uni et 26 % en Suède. La deuxième génération est même plus nombreuse que les immigrés proprement dits. Comme le résume le démographe François Héran : “Des flux modérés peuvent former des stocks importants s’ils durent des décennies. C’est le modèle suivi par la France. Non pas une irruption massive, mais une infusion durable.”
2. Oui, l’intégration fonctionne
Sur ce sujet, il règne une assez grande confusion, car l’intégration continue en réalité à mieux fonctionner qu’on ne le croit généralement.
La grande majorité des immigrés se reconnaît en effet comme faisant partie intégrante de la société française. Selon une enquête de l’Insee en région parisienne, 61 % des immigrés se sentent français. Une proportion qui monte à 90 % pour les descendants d’immigrés. Plus surprenant, 47 % des immigrés de nationalité étrangère ont aussi le sentiment d’être français ! Le repli de quelques minorités sur l’intégrisme religieux, notamment dans certains quartiers en grande difficulté sociale, ne doit donc pas masquer l’essentiel.
Autres indices qui suggèrent que l’intégration poursuit son œuvre : près de la moitié des immigrés sont mariés avec une femme qui n’est pas originaire de leur pays ; plus d’un immigré sur deux arrivé depuis au moins quinze ans est aujourd’hui français ; 68 % des immigrés ont un bon ou un très bon niveau de français ; quant aux taux de fécondité, ils convergent rapidement entre filles d’immigrés et Françaises de naissance.
L’intégration reste néanmoins un processus complexe. Discriminations, inégalités sociales, manque de formation…, les obstacles sont nombreux. Et la crise n’a rien arrangé, comme en témoigne le taux de chômage des étrangers non européens passé de 19 % en 2007 à 25 % en 2012. Mais ces difficultés ont quand même tendance à s’estomper avec le temps. Les étrangers présents depuis au moins cinq ans sont dans une meilleure situation que ceux qui viennent d’arriver : leur taux de chômage est inférieur de presque moitié.
Quant à l’école, elle demeure malgré tout un vecteur d’intégration. Si les descendants d’immigrés de 30 à 49 ans sont 18 % à n’avoir aucun diplôme (contre 14 % pour l’ensemble de cette tranche d’âge), cette moindre réussite ne tient pas tant à leur origine ethnique qu’à leur milieu social. A niveau de diplôme des parents équivalent, les enfants d’immigrés sont tout aussi nombreux, par exemple, à obtenir le bac général ou technologique : 37 % des enfants de parents non diplômés, immigrés ou pas, sont dans ce cas. Seuls les enfants dont les parents sont originaires de Turquie font moins bien (22 %). A l’école, les enfants d’immigrés subissent comme les autres les dysfonctionnements d’un système scolaire où le milieu social d’origine joue un rôle plus important que dans les autres pays développés. Or, ils sont plus souvent d’origine populaire.
Source: Alternatives-économiques