Ibrahim Maalouf est l’un de ces génies hyperactifs qui semblent ne bouffer que de l’instrument toute la journée, toute la semaine, toute la vie, aux chiottes ou au pieu. A l’instar de stakhanovistes de la musique tels Jimi Hendrix et consorts, Ibrahim Maalouf EST une éponge se nourrissant de toutes les influences culturelles et musicales qui lui tombent sous la main pour en chier un agrégat de sonorités puisant son énergie dans le jazz, la musique pop, le classique, le baroque, la musique arabe, l’électro, le rock, le hard rock et diverses musiques tiers-mondistes.
Seul trompettiste au monde à taquiner la trompette à quatre pistons (“trompette microtonale”) qui offre la possibilité de jouer les quarts de ton, essentiels à la musique arabe, il compose de nombreuses œuvres pour orchestres symphoniques, chorales, choeurs d’enfants et ensembles divers. Evident, avec un tellement de talent, TOUT le monde se fout sur la gueule pour bosser avec lui, on compte parmi ses collaborations des cadors tels que Oxmo Puccino, Sting, Salif Keita, Amadou et Mariam, Marcel Khalifé, Lhasa De Sela, Matthieu Chédid, Juliette Gréco, Mark Turner, Angel Parra, Cheikh Lô, Grand Corps Malade, Thomas Fersen, Bumcello, Yom, Georges Moustaki. Rien que ça.
L’artiste au sommet de son talent revient avec la sortie de deux albums-hommages aux femmes Red & Black Light et Khaltoum.
Et sans plus tarder, voici la critique de Kalthoum
Ce qui intrigue en tout premier lieu dans les morceaux de Maalouf, c’est le soin extrême apporté au set et au mixage qui offre un créneau d’expression unique à chaque instrument. Ainsi les notes de piano n’empiètent jamais sur les pizzicati de la contrebasse, et les percussions ont des airs de château gonflable accueillant pour toute cette tribu. La cohabitation est donc harmonieuse et aucun des résidents n’a de rôle mineur. Et c’est justement avec un combo relativement classique saxo, trompette, batterie, piano que se déploie l’émouvant hommage à la monumentale chanteuse égyptienne Oum Khalsoum en la reprise de « Alf Leila Wa Leila », un morceau de 45 minutes originellement composé de refrains de 3 minutes et des couplets allant de 5 à 25 minutes.
Le CD (oui, je critique des CD moi, pas des MP3) se décompose en une introduction suivie de sept mouvements, envoyant un bon gros jazz métissé, tout en poésie et en tendresse. Car il est bien d’amour que l’on cause là ! De l’amour des femmes et de cette immense artiste qu’Ibrahim Maalouf semble exprimer dans chacune de ses notes, multipliant les thèmes sur une mélodie originale respectée stricto sensu, et superposant les mélodies sans jamais les bousculer.
Le jazz arabisant de Maalouf a la grosse qualité de s’ouvrir au public sans perdre de sa technicité, il est humain et généreux, appelle à l’invitation, et surtout s’interprète comme un gros bon jam entre potes (avec blagues pendant le set, regards complices et kiff total), qui peut laisser croire à un gros foutoir alors que tout est maitrisé à la croche près. L’enregistrement du CD n’a d’ailleurs pris que 2 heures !
Au fil des mouvements, les mélodies se rapprochent puis s’éloignent et ne s’entrecroisent que pour s’enlacer brièvement, chacun musicien semble invité tour à tour au tableau noir, cet agencement astucieux rend du coup les harmonies absolument enivrantes. Variations de tempi, changements de rythme, solos du tonnerre, tout y est, on alterne les thèmes orchestraux et de transe, et la trompette s’envole littéralement alternant aléatoirement les modes européens et arabes (via ces fameux quarts de ton), sans que les musiciens ne soient largués par ces extravagances transculturelles.
Vous l’aurez compris, Khaltoum tient toutes ses promesses : c’est une œuvre vibrante et humaine sortie des tripes et assaisonnée généreusement de plaisir.
Ibrahim Maalouf
Red & Black Light et Kalthoum
Label « Mi’ster » / distribution Decca Universal
Sorties le 25/09/2015