Les pépites musicales (et tendancieuses) de Tonton Georges : La non-demande en mariage
Les enfants sont dégueu, c’est bien connu. Mais en plus d’être de véritables nids à microbes occupés à bouffer les trucs tombés par terre, ils ont le tort d’être nés au mauvais moment (2000-2010), si bien que leurs vieux (1970-1980) leur radotent durant toute la période de cohabitation qu’ils n’y connaissent que dalle à la vraie musique française.
Ces mêmes parents se vantent d’avoir connu Tryo, IAM, M, Wax Tailor mais oublient de signaler M. Pokora, Indochine, Laam, Larusso et Alliage (Baila, te quiero Amoooooor) ou Ménélik (reste cool, baby, sinon j’te dirais bye-bye). Genre « Yakalélo » c’est mieux que « Call me maybe », quoi !
En réalité, ces gens ne sont que des cons, puisqu’eux-mêmes ont été élevés par des cons plus âgés (1950-1960) qui étaient persuadés qu’ «Émile et Images » était le summum de ce qui se faisait en terme de classe… Le principe de la récurrence étant ce qu’il est, tout le monde est forcément amené à devenir con avec sa progéniture.
Toute cette intro pompeuse pour affirmer que le seul truc potable là-dedans c’est Georges Brassens, qui objectivement enterre tous ces nullos (ouais, ouais, meuf, ça c’est de l’objectivité!). Brassens, c’est l’Auvergnat, le Gorille, les copains d’abord mais NON, en réalité, c’est ordurier, c’est immoral, c’est sulfureux, c’est tellement MIEUX en fait ! Explication dans le texte.
Chier sur les institutions
Grand détracteur de l’union sacrée devant l’éternel, le garçon ne se cachait pas de ses opinions religieuses et de ses sarcasmes à l’encontre de cette grande imposture qu’est le mariage. Très certainement convaincu du fait que le côté contractuel du mariage est un véritable tue-l’amour et les signatures des mariés un déni de confiance, Brassens se moque une nouvelle fois de ces idylles devenues des cauchemars empêtrés dans les marécages du quotidien, et soulève une interrogation : « A-t-on besoin de se marier pour prouver son amour » (et question sous-jacente du pigiste : « Si tu lui fais confiance, pourquoi tu lui demandes de signer un contrat ? ») Le premier couplet de sa chanson sonne comme une mise en garde :
Ma mie, de grâce, ne mettons
Pas sous la gorge à Cupidon
Sa propre flèche
Tant d’amoureux l’ont essayé
Qui, de leur bonheur, ont payé
Ce sacrilège…
Brassens aime à tordre le cou aux idées reçues, le mariage dans tout son romantisme, en déclarant ouvertement qu’il assimile la mariée à une domestique en devenir une fois la bague passée au moins, esclave de sa condition féminine et grande perdante dans le jeu de l’amour. Et traduit sa non-demande en mariage en fiançailles éternelles, preuve d’une passion que rien, et surtout pas la routine n’éteint. La réflexion vaut le détour, on dit souvent que le temps est un poison pour le couple, que le temps faisant son affaire délie les liens que les amoureux ont durement tissés en en enduisant les fils d’une couche d’espoir pour atteindre l’apogée qu’on nomme mariage. Le constat pessimiste d’un déclin que rien ne peut empêcher est magistralement souligné par la musicalité des vers et le chœur de deux lexiques essentiellement opposés.
De servante n’ai pas besoin
Et du ménage et de ses soins
Je te dispense
Qu’en éternelle fiancée
À la dame de mes pensées
Toujours je pense
Ainsi, tout du long du poème lorsque le romantique tend à prendre son envol, il est inévitablement rattrapé au vol par un vocable culinaire aux sonorités et aux aspirations beaucoup plus terriennes. Brassens est tel un laborantin essayant avec insistance vaine de mélanger de l’eau et de l’huile en touillant comme un malade dans un bécher. Chaque strophe n’est ainsi là que pour enfoncer le clou, et de tourner en dérision tout du long de ce poème cette institution sacrée (le mariage, pour ceux qui n’auraient pas suivi). Comme souvent avec « le gros », la thèse de ses chansons est souvent véhiculée par une forme d’humour extrêmement potache, mais surtout légère, et accessible (malgré le vocabulaire de fin lettré utilisé) qui transforme une méchante saillie anarchiste en jolie litanie ultra-poétique, habile stratagème en son état.
Car voilà le vrai talent de ce Monsieur ! Défendre l’indéfendable avec humour, singularité, beauté et rhétorique ! Dans la non-demande en mariage, l’amusement (ou la consternation, cela dépend de vous) procuré par l’alternance de rimes dissonantes est formidable de créativité comme en attestent les vers suivants :
Laissons le champ libre à l’oiseau
Nous serons tous les deux priso
nniers sur parole
Au diable les maîtresses queux
Qui attachent les cœurs aux queues
Des casseroles !Vénus se fait vieille souvent
Elle perd son latin devant
La lèchefrite
À aucun prix, moi je ne veux
Effeuiller dans le pot-au-feu
La margueriteOn leur ôte bien des attraits
En dévoilant trop les secrets
De Mélusine
L’encre des billets doux pâlit
Vite entre les feuillets des li-
vres de cuisine.Il peut sembler de tout repos
De mettre à l’ombre, au fond d’un pot
De confiture
La jolie pomme défendue
Mais elle est cuite, elle a perdu
Son goût « nature »
Les associations paroles/casseroles, marguerite/lèchefrite sont merveilleusement de mauvais goût et nous rappellent à d’autres rimes incompatibles du même auteur comme « salope/escalope » de la chanson « Putain de toi » ou bien flagorne/cornes de A l’ombre des maris. Comme quoi, on peut-être un fin lettré et aimer déféquer sur les bottes des gens bienpensants.
Que l’on soit d’accord ou pas avec la prise de position de l’auteur, on ne peut nier la qualité littéraire du texte ni ses figures de style extrêmement recherchées (Effeuiller dans le pot-au-feu/La marguerite… Quel génie !). Ce n’est là qu’un avis parmi tant d’autres, dans l’absolu on s’en fout, mais c’est beau alors on se tait.
Conclusion : En espagnol, les menottes se disent « esposas »… Il y a des langues qui ne trompent pas.
Bonus bobo : Aujourd’hui, il existe même des cérémonies de non-demandes en mariage un peu partout en France. Ces hommages à Brassens – en fait de grosses blagues — se célèbrent notamment durant la fête des vendanges à Montmartre (Paris). Ainsi chaque année, aux alentours d’octobre, il est possible d’assister à ces pratiques en présence du maire du XVIIIe arrondissement himself ! Pour sceller cette non-union, voici les vers que les non-mariés doivent se déclamer :
J’ai l’honneur de
Ne pas te de-
mander ta main
Ne gravons pas
Nos noms au bas
D’un parchemin
À noter que pour ceux qui seraient encore réticents à sacrifier leur dimanche matin, tous les couples et non-témoins/potes/parasites sont invités à un binge-drinking privé, à renforts de champagne + fruits de mer dans le square des « je t’aime » (Place des Abbesses). Petit cérémonial privé maquillé en cocktail mondain avec les élus du XVIIIe et envahi de journalistes-photographes. Très fancy, il faut le reconnaître.
Ps : pour les besoins de cet article, son auteur s’est lui aussi non-marié, et a donné naissance à plein de non-enfants.