Peut-on vivre sans Amour, M. Hamil ? Et si je vous parlais du roman La vie devant soi (Emile Ajar/ Romain Gary)
Une scène de vie normale dans le quartier de Belleville : un immeuble vétuste, pas d’ascenseur, et ses six étages à gravir. Six étages interminables qui représentent une petite mort pour Madame Rosa, tant le poids de l’âge se fait ressentir. Au sommet, des enfants l’attendent, ils sont juifs, maghrébins, africains, jaunes, chrétiens, des nourrissons ou des adolescents en devenir… et parmi eux, il y a Mohammed qui préfère qu’on l’appelle Momo. Il n’a connu que ça, l’amour de Madame Rosa et les rejetons de cette jardinière d’enfants, tous des enfants de pute. Ils sont des enfants non voulus, des enfants sans existence officielle.
Le problème c’est qu’elle n’est plus toute jeune Madame Rosa, elle n’a plus les jambes de sa jeunesse quand elle se défendait rue St-Denis à Paris, et puis cette histoire d’air et d’oxygène qui n’alimentent plus le cerveau…. c’est une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
La vie est un combat de tous les jours pour le jeune Momo, partagé entre ses tribulations de gosse (il zone, fauche un truc par-ci, par-là, fait le pitre dans la rue pour gagner trois sous), et le contact avec la dure réalité (Madame perdant la boule dans cet appartement déserté). Il se demande parfois ce qu’il fout avec cette vieille juive grosse et moche sur les bras mais pourtant il l’aime comme la chose la plus précieuse qu’il ait sur terre, c’est comme ça.
Au fond, la vie n’est qu’une putain d’injustice, alors il fait ce qu’il peut pour lui rendre plus agréable, la torche, la nourrit, la pomponne avec du parfum. Mais il sait qu’elle n’en a plus pour longtemps, que tout fout le camp dans son corps et que la fin est proche. Il le sait et il ne comprend pas qu’il y a des gens qui ont tout, qui moches, vieux, pauvres et malades, et d’autres qui n’ont rien du tout.
Mais en son for intérieur, il espère encore, il donnerait tout ce qu’il possède pour que Madame Rosa redevienne jeune et belle comme quand elle était pute. Dans cette cabine de doublage, il se met à chialer comme un morveux quand il voit ce film qu’on rembobine car il se représente mentalement Madame Rosa, elle-aussi, aller à reculons, passer de son état de sénilité à devenir la belle femme rousse et forte qu’elle était avant. La réalité pourrait être cruelle, et pourtant avec sa candeur d’enfant et son optimisme de mioche, Momo y croit, dans une Belleville romanesque, il deviendrait policier ou bien proxynète comme ça, il pourrait s’occuper des putes vieilles et moches qui ne servent plus à rien comme Madame Rosa.
Fort heureusement, ça grouille de vie dans le quartier, c’est une petite tribu, il y a de la solidarité entre les gens malgré les fossés culturels, parmi eux N’Da Amédée, le maquereau dandy, Monsieur Waloumba, le cracheur de feu, Mme Lola, la travestite, ancienne champion de boxe au Sénégal. Et ça donne des scènes d’entraide hilarantes mais aussi extraordinaires d’humanité.
La vie devant soi, c’est une histoire d’amour, c’est une question de dignité : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce sont des gens qui se désolent de voir que l’on laisse tomber ses vieux – pour peu qu’ils meurent en silence – dans un pays comme la France. Une œuvre sur la tolérance et l’amour universel.
A la question naïvement posée par Momo à M. Hamil tout le long du livre : Peut-on vivre sans Amour, M. Hamil ? Le livre se termine par cette réponse implacable : Il faut aimer… tellement vrai !