Mon homme, quand j’en avais un – du moins, quand il était encore mon homme – disait souvent que l’on ne devrait pas dire lorsqu’on est love, que l’on a des papillons dans le ventre, parce que les papillons eux, ne diraient jamais qu’ils avaient des humains dans le ventre.
Ça me faisait rire à l’époque, toutes ces personnifications maladroites; aujourd’hui, je trouve ça peu drôle. Et ça ne fait même pas trois ans. Enfin. J’observe ma meilleure amie tomber amoureuse depuis quelques jours. Un sourire béat est fièrement accroché sur ses lèvres et ne la quitte plus; je la vois, fébrile même physiquement et constamment en train de nous servir un bébéisme que même un nourrisson lui envierait, elle s’engouffre lentement… Je la regarde se diriger inexorablement vers l’annihilation de toute forme de réflexion raisonnée. Il faut dire que je suis désormais éveillée à des détails que mon manque d’expérience d’antan m’empêchait hélas de détecter. Les yeux toujours émerveillés, le regard souvent sur son téléphone, quelque fois dans le vide. Elle se délecte de tout, son sourire, sa voix, ses jeans délavés… C’est beau tout de même, ces personnes courageuses, s’engageant dans un combat si noble sachant (ou pas ) qu’il (ne) durera (que) trois ans. Oui je suis en pleine lecture de L’amour dure trois ans de Fréderic Beigbeder. Mais n’ayez pas peur, je ne suis pas devenue critique de littérature française, enfin si c’en est… On rigole Fred!
Pour l’éternelle crédule- rêveuse inconditionnelle-(ajouter tout autre synonyme de naïve lunatique ici) que je suis, il n’y a pas plus traumatisant qu’un livre qui exalte le désespoir. Il prétend que si le bonheur existe, il ne se trouve pas dans l’amour et vice-versa. C’est bien la première fois que je vois opposés le bonheur à l’amour amoureux, passionnel et passionné. Vous savez, cet amour qui vous fait vous sentir si bien lorsque vous êtes ensemble, qui noue la gorge lorsque vous allez vous voir et pince le cœur lorsque vous vous séparez. Celui transforme des réflexions peu drôles en anecdotes absolument hilarantes. L’amour des intimités fusionnelles, de l’explosion cacophonique et paradoxalement mélodieuse de toute sorte de mouvements désordonnés, mais bien à leur place. L’amour dont on dit qu’il peut déplacer des montagnes (ou on le dit plutôt de la foi ?) , l’amour à l’origine de la guerre de Troie d’Homère, l’amour qui ressemble aux histoires à l’eau de rose de la télé, avec la composante éternelle en moins.
On ne peut pas être amoureux de cette façon pendant bien longtemps, c’est dangereux, ne serait-ce que physiquement. Et puis les gens seraient coincés dans le bébéisme permanent dont je parlais plus haut, un genre de société d’attardés mentaux émergerait, des adultes enfants toujours souriants. Pourquoi pas finalement, notre monde ne manque-t-il pas un peu de sourires béats ?! Fred*, comme je l’appelle souvent, soutient que le seul amour qui mérite d’être vécu c’est cet amour de tous les extrêmes. Je me demande s’il n’a pas raison. La société a réussi à lier à jamais les notions d’amour et d’éternité comme si le fait de n’être amoureux que trois ans était un cuisant échec. Mon ami me disait d’ailleurs que pour lui, 15 ans d’amour/bonheur suivi d’une séparation constituaient une affreuse perte de temps. Mais l’échec n’est-il pas une étape d’un plus grand succès ? Ou bien le fait d’avoir été heureux par le passé n’est-il pas une fin en soi?
Je regardais souvent une série américaine dans laquelle la fille n’avait pas fini avec son amoureux, et pourtant dieu sait qu’ils formaient le couple parfait, j’en avais été traumatisée… La scénariste avait dû comprendre que le problème avec ce qui est parfait, c’est que pour l’être vraiment, il faut que ça s’arrête. Et puis si les gens étaient plus conscients d’une inévitable séparation, ne feraient-ils pas tout pour make the most of the ongoing experience ? Ou bien ce serait décourageant ? Je ne sais pas. Moi je crois à l’amour qui s’arrête. Parce qu’il ne s’arrête pas… Une chose qui a été l’a été pour toujours, même si elle n’a pas duré toujours, vous voyez ce que je veux dire ? À ma copine, profite de tes papillons dans le ventre pendant qu’ils sont là, qui sait, ce pourrait être des chenilles demain.
Eyala Musango (kirigouda)