Au nom de la diversité, un styliste américain a fait défiler récemment des danseuses de step, séduit, dit-il, par leur “côté brut.
Dernier épisode en date de la “fascination pour les Noires” : le styliste Rick Owens a ramené des États-Unis cinq troupes de danseuses de step (style de street dance, dans la culture noire américaine, où l’on frappe très fort avec les pieds pour marquer le rythme), silhouettes massives, noires pour la grande majorité, pour présenter sa dernière collection.
De leurs pas lourds, en rythme, elles ont martelé le podium de la Fashion Week de Paris. Les critiques de la mode se sont extasiés entre deux accolades, qualifiant le show de « puissant », « provocateur », « bouleversant ». Pour ma part, je l’ai qualifié de « grand bordel tendance », ce qui m’a valu d’être immédiatement accusée d’être la femme noire typique. Comprenez : jamais contente.
Séduit par la brutalité
Il faudrait sans doute que j’accepte tout sans rechigner, comme un chien à qui on jette son “nonos”. Tout accepter, même les trucs avec des vêtements calamiteux, une coiffure cauchemardesque et une tête furibarde. En réalité, on m’a fait comprendre qu’en tant que Noire je n’ai pas la capacité de saisir où se situe la frontière entre le fascinant et le révolutionnaire. Et, pour être encore plus franche, le véritable message, c’était que les femmes noires n’ont pas leur mot à dire sur ce qui est beau ; leur boulot, c’est de déconstruire les normes de la beauté, et celui des blanches, de les réinventer.
Le styliste explique qu’il a eu cette idée en regardant le show de step dance de ces danseuses sur YouTube. « J’ai été séduit par leur côté brut. Elles faisaient un superbe bras d’honneur à la beauté conventionnelle. Elles disaient : “On est belles à notre manière.” » Pause. Retour en arrière. Décodage. En d’autres termes, les femmes noires se foutent d’être belles ou, du moins, elles ne cherchent pas à l’être comme les gens normaux. Enfin, comme les Blancs.
Mais voyons, Owens, ce n’est pas ça du tout ! Si nous dominons le marché des extensions de cheveux, c’est justement parce que nous voulons inventer notre propre conception de la beauté. J’aimerais bien qu’il y ait une part de vérité là-dedans, mais, malheureusement, le fait est que les Noires s’intéressent à la beauté autant que toutes les autres femmes de l’univers. En nous retirant cela, on nous rend exceptionnelles, différentes de la plupart des autres femmes, donc plus susceptibles d’être traitées avec condescendance – il faut penser pour nous – par de bonnes âmes bien intentionnées mais mal informées.
En parlant de mal informé : Owens est complètement à côté de la plaque en matière de culture step – voir le visage crispé, la mine féroce et violente de ses danseuses. Il explique que c’est la norme dans la step dance. Faux ! Dans les groupes de femmes en particulier, il est très rare de crisper les traits comme ça, parce que ce n’est pas considéré comme joli. J’ai été initiée à la step dance dans une sororité noire de l’université, et nous nous produisions souvent en talons hauts, parce que nous nous considérions comme des dames. Et c’est toujours vrai. J’aimerais bien savoir pourquoi, quand je regarde des vidéos de step sur YouTube, j’y trouve en général un souci de délicatesse et un côté sexy, alors qu’Owens semble n’y voir que des femmes furibondes. Cette insistance à les faire paraître particulièrement laides a même désorienté certaines de ses danseuses, à qui il a ordonné de faire cette tête furax alors que ça les mettait mal à l’aise.
Un appel pour la diversité sur les podiums
Il est naïf de croire que ce défilé représente un tour de force dans la lutte pour la diversité dans la mode. Ces femmes n’étaient pas mannequins mais danseuses. On ne les verra plus jamais sur un podium de mode, et aucun agent ne les engagera pour la Fashion Week 2014. Elles ne remettront pas plus en cause le manque de diversité dans la mode que des mannequins blancs photographiés sur fond de savane africaine. Le plus intéressant dans tout ça, c’est que Naomi Campbell et Iman ont gardé un curieux silence. Ces deux tops models noirs font partie de Diversity Coalition, une organisation qui, peu avant la Fashion Week, a rédigé une lettre appelant à davantage de couleur sur les podiums. Je suis persuadée que, comme moi, la Noire jamais contente, elles ne pensaient pas vraiment à ce genre de défilé lorsqu’elles ont lancé cet appel.
Cet article a été rédigé par C.E Cummings du site Africa Is A Country.