La culture urbaine camerounaise prend une bonne direction selon Paola Audrey Ndengue

2264

Le livre blanc de la culture urbaine camerounaise 2013

Co-fondatrice du magazine de mode (&culture) international FASHIZBLACK basé à Paris, cette jeune camerounaise a intégré, il y a quelques mois, l’équipe de Not Just Ok, élu meilleur blog d’entertainment 2013 aux Nigeria Entertainment Awards. Elle a produit « Le livre blanc de la musique urbaine camerounaise » via PANNELLE & Co dont-elle est la fondatrice. Elle s’est confiée à notre micro. Lisez plutôt !

Camerpost: Observatrice avertie de la scène urbaine camerounaise, vous avez commis un document récemment intitulé « Le livre blanc de la culture urbaine camerounaise », édition 2013, via la structure Panelle & Co. Quel est l’objectif de ce manuel ?

Paola Audrey Ndengue, Co-fondatrice du magazine de mode (& culture) international FASHIZBLACK

Paola Audrey Ndengue: Afin d’évaluer sur une base plus ou moins commune les avancées, il paraissait important d’avoir un outil, une sorte de thermomètre pour que dans un an, nous puissions regarder d’où nous venons et mesurer ce qui a été bien ou mal fait. D’autre part, j’avais en tête de rédiger une note sur tout ce qui m’avait marqué dans la culture urbaine l’an dernier. L’agence que je représente est constituée de collaborateurs qui ont envie de faire avancer les choses. De là est donc venue l’idée de mettre cette petite compilation d’informations à disposition de tous, au lieu de la garder pour nous uniquement. Au cours d’une discussion, on a réalisé qu’on n’avait pas de « livre d’or », pas de références, pas de document qui nous permette de faire des rétrospectives d’année en année. Ça a peut-être un rapport avec la culture orale africaine, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes dit qu’il serait dommage de ne pas concentrer par écrit quelque part, tout ce qui s’est passé l’an dernier. Nous n’avons pas eu la prétention d’en faire une bible indiscutable, mais c’est un point de départ. On fera quelque chose d’encore plus détaillé, plus structuré et plus complet pour l’édition 2014. Ce manuel est aussi une introduction indirecte à notre agence, bien sûr.

Camerpost: Quel jugement faites-vous de cette scène urbaine camerounaise en faisant une rétrospective sur l’année 2013 au Cameroun ?

Paola Audrey Ndengue: En 2013, on a senti un véritable déplacement de curseur dans la culture urbaine au Cameroun. Cela ne veut pas dire que soudainement, nous soyons passés de zéro à dix, mais comme dans tous les domaines, il arrive un moment où quelques individus créent l’électrochoc en innovant, en arrivant à maturité sur le plan artistique…et inspirent d’autres à le faire. Je dirais que 2013 a été presqu’un pas de géant en avant dans la « normalisation » de la culture urbaine. On la regarde différemment, on ose commencer à croire qu’on peut en vivre au Cameroun, qu’on n’a pas à se cantonner à du folklorique (ou à copier systématiquement les voisins) pour exister artistiquement. C’est un peu le « Yes We Can (Do it) ». C’est un point important. Maintenant, bien sûr, ça tâtonne encore beaucoup pour de multiples raisons (manque d’investissements, manque de structures adaptées, absence de relais professionnels…) mais je crois fermement que nous commençons à prendre la bonne direction, à ce stade, c’est le plus important.

Camerpost: S’il fallait faire une comparaison avec celle du Nigéria, du Gabon ou du Sénégal pour ne prendre que ces exemples, pensez-vous qu’elle soit en évolution, en stagnation ou en recul et pourquoi ? Et pourquoi ?

Paola Audrey Ndengue: Ca, c’est une question-piège (rires). J’ai une vision et une consommation très panafricaine de la musique urbaine, et ces deux dernières années, j’ai particulièrement étudié les marchés angolais, sud africain et bien sûr nigérian. Je pense que sur le plan de la musique, le Cameroun est actuellement là où était le Nigeria il y a 10 à 15 ans. Il faut bien se dire que les P-Square, il y a une quinzaine d’années, on ne les diffusait pas forcément en boîte de nuit ou à la radio à Lagos. Les jeunes nigérians de l’époque ne consommaient quasi-exclusivement que de la musique américaine. Il y avait là-bas le même mépris qu’il y a encore actuellement à l’égard des artistes urbains locaux au Cameroun. Mais c’est parce que certains ont commencé à militer pour la musique urbaine locale de plusieurs manières, et parce que plusieurs maillons de la chaîne ont su créer une synergie (médias, sponsors, agences de communication, managers…) que les choses ont changé. Mais cela a pris dix ans au moins. Donc pour répondre à votre question, le Cameroun semble en train de prendre le même chemin. En évolution mais pas encore vraiment au niveau. Pour le Sénégal, de ce que j’en sais, le Hip Hop y a une véritable crédibilité sur le plan culturel, voire même social, si on pense aux rôles qu’ont joué certains rappeurs au moment des élections. Le Sénégal dispose aussi d’un star system nettement mieux construit qu’au Cameroun, même si le Mbalax semble plus dominer que la musique urbaine là-bas. Du moins, c’est ma perception de l’extérieur. Pour ce qui est du Gabon, je crois que la situation est la même qu’au Cameroun. Je peux même oser dire qu’elle est pire en termes de gâchis, vu le potentiel des artistes et l’argent qui circule dans le pays.

Camerpost: Comment définissez-vous d’ailleurs « la musique urbaine » ?

Paola Audrey Ndengue: C’est vrai que l’expression est un peu fourre-tout. A titre personnel, je la définis d’abord par les gens et les lieux où elle est consommée. Pour généraliser, je dirais qu’il s’agit d’un ensemble de musiques qui sont nées, produites et consommées dans les grands centres urbains d’un pays. La plupart du temps même, ces styles musicaux viennent de la rue ou des quartiers populaires des grandes villes. Ensuite, je dirais que La musique urbaine est consommée et relayée par des jeunes, avec une fourchette allant principalement des 12-18 ans (ceux qui savent générer de la communication virale par la musique qu’ils s’échangent via les clés USB, les cartes SD, Facebook, Whatsapp etc..) aux 25-35 ans.

Camerpost: Quand vous faites ce bilan, qu’est ce qui a retenu positivement ou négativement votre attention au cours de l’année 2013 sur le plan urbain ?

Paola Audrey Ndengue: Quand nous avons rédigé ce livre blanc, nous avons essayé de rester les plus neutres possibles, afin de ne citer que les faits ou du moins, comment ils ont été perçus par la majorité. Ce que j’ai retenu positivement, c’est que le public et les artistes deviennent de plus en plus exigeants en matière de qualité. Je pourrais développer dessus, mais je vous renvoie au livre blanc pour les détails. Sur le point négatif… Que ce soit dans la musique, dans le streetwear, dans les sites web urbains, je dirais que j’ai observé une forme de « mauvais suivisme ». C’est normal que nous observions ce que les uns et les autres font, mais reproduire sans réfléchir en amont à ce que l’on va apporter en matière de valeur ajoutée, c’est tout sauf productif. Ca témoigne d’un intérêt croissant pour le domaine, et tant mieux, mais se lancer pour se lancer, sans avoir d’identité ou de plan défini (en dehors de vouloir « faire comme »), c’est une perte d’énergie inutile. Et je crois que plus la culture urbaine va apparaître comme une manne (financière ou autre), plus on verra qu’arrivisme et amateurisme vont souvent ensemble. Mais il n’y a pas de quoi s’alarmer, une sélection darwinienne s’opère dans ce genre de cas en général, le public est rarement dupe (ou alors, il ne le reste jamais très longtemps).

Lire la suite de l’interview de Franck William BATCHOU sur camerpost.com

Télécharger le livre blanc de la culture urbaine camerounaise 2013 ici : https://drive.google.com/file/d/0B2jO9r9TRizvUW9zcXJYRzcyRGs/edit?usp=sharing