Nous irons vivre ailleurs de Nicolas Karolszyk
La vie est une éternelle fuite.
Semble suggérer le réalisateur. Prendre les jambes à son cou et puis décamper jusqu’à en perdre haleine. Fuir la misère, fuir les guerres intestines, fuir les forces de l’ordre, fuir les responsabilités, courir à n’en plus ressentir que l’acide coulant dans ses veines, et l’air glacé de la métropole cisaillant sa poitrine, à la recherche d’un refuge. Celui qui nous attend forcément quelque part…
La véritable performance du réalisateur est d’emmener sur un format flirtant avec le court (1h06) le public dans une intrigue protéiforme : le docu-fiction et la fable urbaine. Tantôt engagé (la thématique délicate de l’immigration clandestine), tantôt poétique, le film oscille entre deux états opposés comme les humeurs d’une maitresse lunatique.
I don’t belong here (what the hell I’m doing here?)
A l’image de la course effrénée de l’indolent Zola, migrant africain aveuglé par les lumières de la vieille Europe, nous irons vivre ailleurs est haletant et abrupt puis figé et contemplatif. La première moitié du film est dérangeante : ellipses tranchantes, bande sonore angoissante (ces cuivres et ces cordes interminables…), caméra excessivement pudique, mutisme du personnage, narration décousue, sonnant comme le petit deuil d’une existence fantomatique, celle d’un homme sans passé et sans attache. Un parallèle évident avec les cadavres anonymes repêchés sur les côtes européennes, qui autrement seraient tombés dans l’oubli général de la fosse commune de l’exil.
Nation – place des Antilles
Le thème du conte de fée qui s’écroule est joliment abordé dans la seconde moitié de la péloche. Le héros vogue de désillusions en désillusions, la difficulté de la vie clandestine résonne avec violence comme le fracas d’une bouteille de verre s’éclatant sur un crâne humain. Les lumières nocturnes de la mégapole se diffractent à l’infini sur les gouttelettes de sueur qui perlent du cou de l‘animal traqué, la photographie est jolie, elle inspire une poésie de bitume, de ces histoires d’amour qui sortent de nulle part mais auxquelles on croit car l’improbable est enfant de l’espoir. Encore une fois, la course-poursuite reprend comme un ballet interrompu par le désespoir, mais sublimée par l’étincelle de vie jaillissant du néant. Ces péripéties de métro emportent les corps gracieux que l’on n’imaginait pas possible dans du cinéma guérilla. Et on se surprend à frémir au regard d’un plan fixe, celui d’un simple escalator de RER tournant dans le vide, sempiternellement orphelin. Les amoureux de déambulations nocturnes dans la capitale apprécieront.
J’accuse (il fallait bien la faire celle-là !)
Ce film à double lecture (que je préfère considérer comme un conte moderne) n’est hélas pas exempt de défauts.
L’absence de subventions a manifestement handicapé le tournage dans plusieurs scènes, dont celle de la traversée en mer qui représente l’entreprise la plus périlleuse, et certainement l’essence du film. On regrettera aussi d’avoir rencontré les écueils de la facilité scénaristique (le mec ti-jean qui se fait coffrer aussi vite qu’il est apparu à l’écran, les flics dotés de pouvoirs télépathiques), et de s’être tapé cette caméra parkinsonienne, et ces putains de bruits parasites en extérieur qui empêchent d’entendre les dialogues. Espérons qu’un lissage sonore sera effectué en vue de la distribution finale car on a saigné des oreilles sur certains thèmes.
Tu quoque mi fili
Nous irons vivre ailleurs respire la naïveté et l’ambition débordante d’un film de potes, et l’humilité des plus grands. Une surprise aussi agréable qu’inattendue. On se laisse embarquer avec plaisir.
Le visionnage de ce film a été effectué à partir d’une version non-définitive. Les problèmes de son devraient être corrigés pour la version commerciale.
BANDE ANNONCE :
Nous irons vivre ailleurs.
En salle le 11 décembre 2013
De Nicolas KAROLSZYK – fiction
Production déléguée et distribution
En association avec Auberlywood et In The Mood
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