RIO DE JANEIRO, 23 mai 2013 (AFP) – Dans la banlieue de Rio, une chaîne de salons de coiffure raffinés triomphe auprès des femmes noires et métisses de la classe moyenne émergente en magnifiant la beauté naturelle de leurs cheveux frisés au lieu de les lisser.
Décors aux tons rose et rouge, grands miroirs, fleurs fraîches, café gratuit: chez Beleza Natural, on pourrait se croire dans n’importe quel salon huppé de la planète, ou dans un décor de télénovela.
Ici, on apprend aux femmes noires à s’affranchir des préjugés en s’aimant comme elles sont. Pas question de lisser au fer brûlant leurs cheveux crépus pour les faire ressembler à tout prix à ceux des blanches. On leur passe des crèmes pour les assouplir en boucles légères.
La success story de cette entreprise familiale épouse l’essor du pays où la croissance et les programmes sociaux ont extirpé 40 millions de Brésiliens de la misère en une décennie.
Ils ont rejoint la classe moyenne inférieure, dite ‘C” qui représente 54% de la population. Et parmi eux, beaucoup de Noirs et métis, qui représentent la moitié des 194 millions d’habitants du pays.
Les propriétaires de Beleza Natural ont parié sur le fait que 70% des femmes ont les cheveux frisés au Brésil. Elles se battent contre un cliché populaire bien ancré voulant que les cheveux frisés soient “ruim” (moches).
“Nos salons sont destinés à la cliente oubliée, invisible: une femme habituée à servir, mais qui mérite d’être servie et bien servie”, explique à l’AFP Leila Velez, présidente de Beleza Natural, une métisse de 38 ans à la longue chevelure bouclée.
A 16 ans, elle était déjà gérante d’un McDonald’s dans l’ultra chic quartier d’Ipanema.
Deux ans plus tard, elle montait avec difficulté son premier salon. Aujourd’hui, Beleza Natural compte 13 boutiques, toutes en banlieue sauf une, et une usine de fabrication de produits qui emploie 1 700 personnes.
On y produit chaque mois 250 tonnes de produits dont le “super relaxant” du cheveu afro, son produit phare breveté.
Il a été créé par la belle-soeur de Leila Velez, Zica Assis, une ancienne bonne à tout faire. Elle a mélangé pendant dix ans divers produits qu’elle testait sur son jeune frère, “qui a perdu ses cheveux à plusieurs reprises avant qu’elle puisse obtenir ce qu’elle voulait”, raconte Leila Velez.
Les recettes de l’entreprise ont augmenté de 30% par an ces huit dernières années.
Le triomphe est tel que chaque samedi, des centaines de femmes des autres villes de l’Etat de Rio débarquent en autobus pour s’y faire coiffer.
“Belle parce que noire”
“Beaucoup de Noires n’acceptent pas leurs cheveux car l’idéal de beauté culturellement répandu est d’avoir les cheveux lisses”, explique Victor de Almeida, auteur d’une thèse sur Beleza Natural “et son pari sur la classe C”.
“C’est là la différence de ces salons qui disent à la femme: +vous êtes belle parce que vous êtes Noire et que avez les cheveux crépus+. Avant, il n’y avait pas d’endroit où on les traitait comme des princesses”.
“Je me lissais toujours les cheveux mais ici on m’a convaincue que bouclés ils seraient plus jolis; et c’est plus naturel”, témoigne Bruna Mara, une secrétaire de 24 ans, cliente du salon de Cachambi, inauguré en mars.
Les soins coûtent 38 dollars (10% du salaire minimum). Pour conserver leur effet pendant un mois il faut acheter un “kit de produits” à 25 dollars.
“Mais ça vaut le coup. Avant je le faisais chez moi avec des produits moins chers mais ça ne marchait pas”, souligne Bruna.
Un lourd héritage
Le Brésil demeure un pays “très raciste” contrairement à sa réputation de modèle de diversité raciale, souligne José Jorge de Carvalho, anthropologue à l’Université de Brasilia. “Ces salons aident à lutter contre les préjugés raciaux”, assure José Jorge de Carvalho déplorant que de nombreuses femmes se lissent encore les cheveux au fer à repasser, que l’on fait chauffer sur la cuisinière.
Aujourd’hui, Beleza Natural reçoit 90 000 clientes par mois.
“C’est la nouvelle classe moyenne qui produit pour la classe moyenne” se réjouit Marcelo Neri, ministre par intérim des Affaires stratégiques du Brésil. “La classe moyenne inférieure a vécu avec très peu pendant des années et maintenant il lui reste un peu d’argent pour réaliser ses désirs”, dit-il à l’AFP.
Les revenus des Noirs et métis sont ceux qui ont le plus augmenté de 2001 à 2009, de 43% et 48% respectivement, contre 21% pour les Blancs, selon cet expert de la classe moyenne.
Mais 125 ans après l’abolition de l’esclavage, les Blancs gagnent encore deux fois plus que les Noirs.
Par Laura BONILLA CAL