Petit Eloge de la rupture sentimentale : Le printemps.
A Gilles Deleuze qui a dit « qu’à l’heure actuelle, n’importe qui ayant vécu une histoire d’amour un tant soit peu intense pense que ça suffit pour se prétendre écrivain », je lui réponds : je t’emmerde !
Comme sur des nénuphars…
Vraisemblablement, tu ne t’y attendais pas, tu te baladais tranquillement et elle t’a attaqué par derrière (l’amour est un peu pute, voilà son leitmotiv). Comme tout bon parisien qui se respecte, tu t’es retourné et as affiché un air circonspect de circonstance, celui de l’autochtone dubitatif, une mine inhospitalière bien de chez nous… Car les surprises, tu n’aimes pas ça, elles sont généralement déplaisantes. Malgré les mésanges qui s’époumonaient et la rosée perlant des rameaux, tu as préféré rester sur tes gardes. Sage décision, les fausses joies, ça te connaît, et ce n’est pas parce que le vin est tiré que tu vas forcément rouler sous la table, et puis cet oiseau étrange qui chante alors qu’il n’y a que des pigeons à Paname, c’est quand même suspect, non ?
La réalité c’est que tu flippais grave. Tu avais la pétoche d’encore y croire, d’être vulnérable en relation, de laisser ton cœur à découvert de peur qu’une autre harpie ne s’en empare et ne le mange encore sur la place du marché (Prométhée est un lointain cousin). Surtout ne pas se laisser griser, et se faire rouler dans la farine une énième fois. Alors judicieusement, tu as tout de suite mis les points sur i en lui expliquant que dès lors vous marcheriez côte à côte, vos longueurs de pas ne seraient pas les mêmes, elle serait obligée de t’attendre du coup, mais c’était tes conditions : chacun avance à son rythme. Des exigences… plutôt des excuses de gros lâche en somme ! Mais si t’as quand même décidé d’être avec elle, c’est qu’au fond, tu y croyais quand même un peu, et le cœur lui, ne s’y trompe jamais.
Circonvolutions dilatoires
Au début, tu ne ressentais pas grand-chose, c’est normal, les antalgiques dont tu te gavais pour taire tes douleurs faisaient encore effet, et tu tenais ferme la bride à ton émoi pour que la transition glisse tranquillement, comme une croisière sur un nuage magique. Ça a tellement bien marché que le changement de statut, tu ne l’as même pas ressenti, pauvre de toi ! Célibataire ou casé, il y a un océan entre ces deux continents. Les derniers relents de l’hiver se faisaient encore sentir. Mais bon, tu avais sans doute une bonne excuse.
Tu as fait l’autruche, et fermé les yeux car il est plus aisé de ne pas se poser les bonnes questions et de continuer à suivre le train de la vie sur les rails de la routine.
Puis peu à peu ces petites choses auxquelles tu n’as pas fait gaffe – ces caresses maternelles, ces regards affectueux, ce petit rire agaçant, ces baisers passionnés, cette écoute attentive, ces sourires faits de miel, cette attention constante et bienveillante, tous ces efforts qu’elle fait rien que pour ta petite personne – te sautent à la gueule. Tu te prends au jeu, et parfois tu t’étonnes de ressentir des émotions aussi fortes : c’est le cœur qui vomit sa joie, les entrailles qui s’entortillent, un âtre s’enflammant dans ta poitrine, des globes oculaires qui pataugent dans une mare de joie (meuh non, j’sue des yeux). Dans un bouge kosovar, ou sous la lueur d’un réverbère, le frêle esquif de ton cœur a chaviré, Robinson de l’asphalte tu as fait naufrage à Cythère , et le chant de la mésange a eu raison de toi. Et c’est un empire romain qui s’est effondré sous tes yeux, à la faveur d’une cité andalouse, plus étincelante et captivante que tous les délices de Capoue.
“Robinson de l’asphalte tu as fait naufrage à Cythère”
L’envolée primesautière
Ta vie ressemble à une rainbow road (pour les fans de mario kart) : un geyser d’émotion et de couleurs qui, à toute vitesse ne t’offre aucun recul possible. Chaque jour est meilleur que le précédent, tu es sans cesse ému et tu ne réalises toujours pas ce qui t’arrive. Tu magnifies tous les éléments qui t’entourent, même les étrons de la rue Quincampoix ne te font plus pester lorsque tu glisses dessus. Et chaque jour t’en apprend d’avantage sur la personne que tu es, celle que tu souhaites devenir, tes rêves les plus fous et ceux de ta tendre. Tu ressens le besoin de la découvrir à chaque nouvelle aurore : c’est la moisson d’une are de volupté qui ne semble ne jamais prendre fin, la Noël à chaque matin ! Fier, tu as enfilé le maillot à pois de grimpeur de son mont de Vénus.
Tu commences à t’intéresser à tout ce qui a un rapport à elle : certains mots-clés résonnent dans ton esprit, et des éléments extérieurs attirent de surcroît ton attention, tu fais tout un tas d’associations débiles (des chaussettes fourrées = un après-midi magique au zoo, une boite de rollmops = un cinq à sept dans sa bagnole, etc…) comme on laisse mariner les beaux souvenirs dans le court-bouillon de la nostalgie.
“Ta vie ressemble à une rainbow road”
En somme, tu deviens con, super con même.
Ton mode de vie change aussi, tu as arrêté de penser solo, et tu l’embarques dans la gondole de ton alcôve. Cibler ses préférences, s’intéresser à son métier, apprendre une langue étrangère, discuter avec ses copines, l’écouter d’avantage. Rien n’est trop beau pour elle, tu prends du plaisir à lui en donner parce que son sourire merveilleux diffracte à l’infini dans ton petit cœur d’amadou… Son existence s’enroule et se lie à la tienne à renfort de cordage insécable (Vénus à sa proie attachée, toussa…). Et putain, ces frissons qui s’emparent inexplicablement de toi quand tu la serres fort contre ton torse, te voilà devenu un épicurien des sentiments, parkinsonien de surcroit.
Tu as l’impression de trimballer un porte-bébé dorsal avec à son bord un chérubin ailé qui te poignarde sauvagement de sa flèche comme un Hun, et tu aimes ça, cette douleur qui te brûle la poitrine. Tu te sens vivant.
Désormais, le bonheur c’est le temps qui s’arrête à elle : le souhait de la contempler endormie à l’ombre d’un peuplier millénaire, le ciel dardant ses doux rayons sur l’aube fraiche, témoin consciencieux d’un soir plein d’amour.
Tu souris. T’es con. Mais t’es heureux !
L’amour triomphe toujours, il parait.