Le Cameroun, un Etat adémocratique Par Louis-Fréderic Moudourou

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Le Cameroun, un Etat « adémocratique » (partie 2)

1. Des Institutions du Cameroun

Un État par définition possède des institutions, c’est un pléonasme que de le dire. L’État camerounais se dit démocratique, il est alors primordial de comparer ces institutions aux autres États démocratiques. Commençons par le commencement, la présidence de la République, institutions si on en croit les faits est la plus importante de l’État Camerounais.

J’ai été surpris de constater sur la première page du site internet de la présidence de la République du Cameroun l’affiche de campagne du candidat du RDPC (parti politique au pouvoir)  et sa profession de foi. Le Président de la République est en principe garant des Institutions de la République, de l’indépendance nationale, par conséquent la présidence de la République qui est la vitrine du Cameroun ne peut afficher une quelconque préférence partisane. Plus incroyable encore, durant la dernière décennie, le Président de la République nomma à des hauts postes de l’administration des fonctionnaires décédés. On pourrait aussi se souvenir de ce citoyen camerounais qui porta plainte contre le président de la République dénonçant le non-remplacement de députés décédés en fonction. Si en droit l’action intentée par ce citoyen est irrecevable, la pertinence du grief invoqué n’en est pas moins symbolique. Il a déjà été dit que le président de la République est le garant des institutions, il veille au respect de la Constitution, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Il est garant de la continuité de l’État, cette continuité implique la continuité du Service public, de l’administration et des institutions. Si cela suscite chez certains le ricanement, plus sérieusement ces anecdotes dénotent le laxisme dominant dans l’administration et au plus sommet de l’État.

On pourrait parler d’Elecam, organe chargé du contrôle, de la transparence, et plus généralement de la régularité des élections. Par essence, cet organe doit faire preuve d’une certaine neutralité. Or, ces membres sont nommés par le président de la République, ce qui en matière de neutralité peut laisser perplexe.  Sur les 18 membres qui composent cet organisme, 10 d’entre eux sont des anciens membres du RDPC. Certains d’entre eux ont grossièrement démissionné la veille pour être désignés le lendemain au sein d’Elecam. Sur le plan de la transparence, plusieurs personnes se sont retrouvées inscrites deux fois : donc avec deux cartes d’électeur.  Elecam a enfin confirmé tout le mal qu’on pensait de lui en s’investissant activement dans la campagne électorale du président sortant. En effet, madame Pauline Biyong, pourtant membre du conseil électoral a gagné le marché du collage des affiches de monsieur Paul Biya. Elle sera toutefois remplacée pour préserver les apparences.

Plus important, la Constitution, norme suprême,  volonté du peuple souverain. Ca modification éventuelle est la compétence du seul peuple souverain. Or en 2008, l’actuel président l’a modifiée pour s’octroyer un mandat supplémentaire. Imaginez une seconde que vous soyez propriétaire d’un appartement ; lequel appartement est en location depuis 29 ans, le contrat de location prends fin dans deux années. Pensez-vous que le locataire puisse prolonger son bail de 7 années supplémentaires sans votre permission expresse ? Bien évidemment non. Pensez-vous que le président américain ou français puisse prolonger son mandat sans la permission du peuple souverain ?! Il est évident que pour des changements aussi importants, l’accord des citoyens est  indispensable. Par exemple le président Chirac a eu recours au référendum alors même qu’il voulait raccourcir la durée du mandat présidentiel.

La nouvelle Constitution n’a pas seulement délimité le nombre de mandats présidentiel, elle a aussi maintenu le flou sur l’identité de celui qui devra assuré l’intérim en cas de vacance du pouvoir. Car en effet, l’article 6 alinéas 4 nouveau stipule que «L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier est, à son tour empêché, par son suppléant suivant l’ordre de préséance du Sénat. »

Il ne vous aura pas cependant échappé que le Cameroun ne dispose pas de Sénat. On peut donc se demander qui assurera l’intérim puisqu’aucun texte ne le précise expressément. En effet, concrètement si le président se trouvait pour une raison ou pour autre dans l’impossibilité de remplir ses fonctions, qui au sein du microcosme politique assumera l’intérim. On vient de le voir, ce n’est ni le président du Sénat, ni son suppléant qui l’assurera. La  question est de savoir qui pourra le faire. Un éminent juriste disait «Quand la loi est claire, il faut la suivre» en l’espèce la loi est très claire, mais impossible à appliquer. Le problème si cette situation arrivait à se produire est la possibilité de voir plusieurs personnalités politiques s’autoproclamer Calife à la place du Calife. Le président de l’Assemblée pourra par exemple se prévaloir de jouir de la plus grande légitimité du fait qu’il soit après le président de la République, l’expression du suffrage du peuple souverain.  Le premier ministre pourra pourquoi pas lui aussi faire valoir sa qualité de successeur en se fondant sur la théorie du précédent. Quand la loi est obscure ou inexistante, on peut se référer à la tradition ou à loi précédente, c’est-à-dire le texte de loi qui a précédé le nouveau. La tradition et l’ancien article 6 de la Constitution abrogée par l’actuel président précédent Camerounais nous indique que le premier ministre succède au président de la République comme cela s’est en 1982. Voilà donc le premier ministre armé d’une raison pertinente de revendiquer le sésame. Le raisonnement peut s’étendre à d’autres personnalités, vous avez compris l’astuce. Cependant le risque seraitdevoir l’armée s’en mêler.

On peut se demander alors si le président de la République n’entretient pas ce flou pour s’assurer de ne voir naître auprès de lui aucun dauphin possible. Car en effet,  les textes mettant en place le Sénat et le Conseil Constitutionnel ont été adoptés depuis 1996, il est alors incompréhensible que celui-là même qui est chargé d’assurer la continuité de l’État s’emploie à ne pas mettre en place des institutions prévues dans le texte constitutionnel.

2. Cameroun, État de Fait ou État de Droit ?
La Société Camerounaise se caractérise par un certain nombre de paradoxes, Marie-Louise Eteki-Otabela dans son ouvrage «Misère et Grandeur de la Démocratie au Cameroun» disait :

« Il y a incontestablement marginalisation des forces sociales dont on reconnaît par ailleurs le rôle dans la vie économique. Fait remarquable : ceux qui produisent les richesses n’occupent aucune position de pouvoir dans les dynamiques sociales. C’est le cas des paysans dont le travail entretient tout l’appareil étatique […] On ne saurait oublier, non plus les travailleurs du secteur informel dans les grandes villes. C’est le cas par exemple de petites vendeuses, capables de faire cuire leurs aliments jusqu’à une heure du matin pour pouvoir nourrir leur famille, ou payer la scolarisation des enfants. Qui prend en charge tous ces efforts dans la planification nationale ?»

La place qu’occupe le secteur informel au Cameroun est par nature indéfinissable. Or, la principale ressource d’un État de droit provient des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales). En effet, pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. Il découle de ce constat un manque à gagner énorme pour l’État. Ce manque à gagner est malheureusement répercuté sur les impositions de toutes natures que paient les Entreprises, les personnes morales et les personnes physiques.  Par exemple, payer les droits de douane au port de Douala pour l’achat à l’étranger d’une automobile neuve revient presque à payer pour une deuxième fois son véhicule. Impositions lourdes  qui découragent les investisseurs étrangers et locaux à investir ou à payer les impôts. La conséquence est que les seuls moyens d’échapper à de telles charges sont la fraude ou la corruption du personnel des impôts, ce qui entraine une hécatombe de conséquences néfastes sur le plan fiscal puisque rien ne rentre dans les caisses de l’État. Faut-il parler ici de la corruption ?! Nous savons tous que la corruption a pignon sur rue au Cameroun, je ne pense pas qu’il ne faille enfoncer le couteau dans la plaie. On peut juste dire que malheureusement, l’intégrité morale n’est pas la vertu cardinale de nos politiques.

La question d’une réforme fiscale n’est pas au cœur du débat puisque la plus grande partie du budget camerounais est calculée sur les recettes pétrolifères, mais qu’adviendra-t-il quand le prix du baril de brut sera au plus bas ? Outre le problème comptable que pose la question d’une éventuelle réforme fiscale, il y a un problème d’ordre moral que soulève cette question, car si une bonne partie des Camerounais travaillent au noir permettez l’expression, une autre partie travaille elle de manière formelle en payant impôts et taxes. Qui de l’égalité des citoyens devant l’impôt ? Pourquoi le vendeur de chaussures qui obtient un bénéfice mensuel de 50000 FCFA ne paierait-il pas d’impôts alors que l’instituteur rémunéré 50000 FCFA endosserait ce fardeau ?

La question fiscale n’apparait ne pas être une question primordiale, c’est une fausse idée que de le penser. Imaginez un instant que tous les Camerounais paient les impôts selon leurs facultés contributives. D’une part, la charge fiscale sur les particuliers et les entreprises s’amoindrira, car plus de personnes participent à l’effort public. Cette diminution de la charge fiscale entrainera la croissance, car moins on paie d’impôts plus on investit, cela est vrai pour les entreprises et pour les particuliers. Cette croissance entrainera une diminution du chômage, qui dit diminution du chômage dit augmentation de salariés, et donc augmentation des recettes fiscales; qui dit augmentation des recettes fiscales dit redistribution, donc amélioration des infrastructures, constructions de routes, d’écoles, etc.… Qui dit travaux publics dit besoin de mains-d’œuvre, donc baisse du chômage, hausse des recettes fiscales, etc. Vous avez compris la logique.

D’autre part, l’informel crée un problème d’ordre public. Prenons l’exemple des motos-taxis : que faut-il comme compétence pour exercer cette activité ? Aucune ! Cette situation de fait crée une insécurité pour la clientèle de ce secteur. Combien d’accidents de la route dénombre-t-on à cause de ces engins motorisés? Il ne s’agit pas de prohiber ce métier, car ce serait renvoyer de nombreux jeunes livrés à eux même, qui n’auront d’autres choix que la mendicité ou pire encore l’illégalité, notamment le vol et autres activités qui relèvent du grand banditisme. La solution ici est d’encadrer cette profession en conditionnant son exercice par l’obtention d’un permis moto par exemple, ou encore du port obligatoire du casque, de l’immatriculation obligatoire, etc.

Un État ne peut laisser se développer hors de son contrôle une aussi grande part de sa population, le développement du Cameroun passe par un État de Droit effectif.

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE. RDV DANS BIENTÔT POUR LA SUITE.


Cet article a été rédigé par Louis-Fréderic Moudourou Etudiant à la Faculté de Droit de l’université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.