Pouvons-nous faire de l’Afrique le continent du 21e siècle ?

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M. Brahim Benjelloun Touimi a affirmé un certain nombre de convictions sur l’Afrique en tant qu’intervenant lors d’un panel en séance plénière du Forum de MEDays à Tanger.

Excellences, Mesdames, Messieurs,

C’est un véritable privilège de prendre part à ce panel en séance plénière, consacré à un thème prospectif, réunissant autant de prestigieuses personnalités : des hommes d’État, des diplomates internationaux, des conseillers de personnalités politiques de premier plan et de ministres.

Au nom du président Benjelloun, nous remercions, très chaleureusement, les organisateurs de MEDays et son président Brahim Fassi Fihri de nous avoir invités en tant que représentant d’un groupe financier privé marocain d’ambition régionale et, ultimement, panafricaine : le Groupe BMCE Bank. Dans cette prise de parole, permettez que soit affirmées un certain nombre de convictions.

1 La première conviction est contenue dans la maxime de l’auteur français Antoine de Saint-Exupéry : «Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible».

2 La seconde conviction est, en ne cédant ni à la mode des afro-pessimistes, ni à celle des «afridôlatres», passez-moi ce néologisme : l’Afrique ne pourrait être le continent du 21e siècle seule. Sans doute, sera-t-elle l’un des deux continents du 21e siècle, compte tenu du poids croissant et durable pour les décennies à venir, de l’Asie.

3 Parler «d’Afrique», et non pas de la situation de chacun de ses 54 pays constitutifs, révèle déjà une ambition d’unité, une unité d’approche, presque une unité de mesure. Cependant, les statistiques du PIB nous révèlent que l’Afrique tout entière, ses 54 pays, ne représente, que 3% du PIB mondial. Les quelque 2 000 milliards de dollars de PIB cumulé africain : c’est un petit plus que le PIB de l’Inde et un peu moins que celui du Brésil !

Ce sont des dizaines de pays, par bien des aspects, dissemblables : insulaires enclavés – ils sont si nombreux – ou côtiers, dotés ou non de ressources naturelles, des économies de rentes pétrolières ou minières, des pays d’États fragiles de violence, ou de transition démocratique ou des démocraties apaisées.

Dans ce contexte complexe, pour démêler l’écheveau, il faut dépasser les frontières nationales étriquées, au nom d’une volonté politique forte, associant (i) autorités publiques garantes des intérêts nationaux et, en leur sein, les instances de gouvernance locale (ii) les organismes multilatéraux (iii) les institutions financières bilatérales de développement (iv) le secteur privé, national, régional et transnational.

L’heure est, paradoxalement, à l’utopie créatrice et fondatrice, seule à même de susciter un volontarisme entrepreneurial, économique, politique et sociétal afin de cristalliser puis réaliser une vision commune d’un développement soutenable. Un développement qui permette de relever les défis majeurs auxquels est confronté le continent africain, inter alia : une croissance qui soit inclusive pour réduire les inégalités et éradiquer la pauvreté, créer des emplois en faveur d’une population jeune impatiente et exigeante, accompagner les besoins de classes moyennes émergentes et enraciner les mœurs d’une véritable démocratie représentative, loin des extrémismes et du populisme.

Les pères fondateurs africains ont eu cette vision première à Casablanca en 1961, lorsqu’ils ont conçu l’idée de la première organisation panafricaine. L’utopie fondatrice fut ultérieurement dessinée à Abuja et à Arusha, quand il s’est agi de «programmer» l’agrégation de Communautés économiques régionales parmi les huit qui se trouvent aux quatre points cardinaux de notre continent. Il s’agit, en effet, de passer de Zones de libre-échange vers des Unions douanières, d’Unions douanières régionales vers une Union douanière continentale puis vers le Marché commun africain, voire vers l’Union monétaire africaine. Il s’agit en définitive, c’est notre troisième conviction, d’accélérer les processus d’intégration régionale. Garder en ligne de mire cette utopie fondatrice, c’est encourager, au niveau des différentes régions d’Afrique, la mise en «branle» de nouvelles forces, de nouvelles actions et initiatives d’intégration régionale.

4 Notre quatrième conviction, et là nous touchons le cœur du sujet du «comment faire», est de s’atteler à 3 immenses chantiers au niveau de chaque grande région.

Chantier n°1 : La priorité est aux initiatives et à la conjugaison des forces par-delà les frontières africaines pour éliminer les déficits d’infrastructures qui se reflètent dans les transports, les communications, quels que soient les chiffres affriolants publiés sur la croissance des équipements en mobile, l’énergie (sa production et son accès ), l’eau (son traitement et assainissement…), pour ne citer que les plus emblématiques. 100 milliards de dollars par an sont requis à cet effet jusqu’en 2020, lit-on ici ou là. Cela représente, à peu de chose près, ce que l’Inde considère qu’il faut investir chaque année. Ne doit-on pas, d’ailleurs, penser à établir une «norme», qui soit un pourcentage du PIB national, régional, et continental à investir dans l’infrastructure.

Chantier n°2 : Comment faire face à ces immenses besoins d’infrastructures si les économies ne sont pas attractives pour l’investissement intra-africain et étranger ? Ce second chantier majeur est relatif à l’amélioration de l’environnement des affaires, à la promotion de l’esprit d’entrepreneuriat, seuls créateurs d’emplois durables.

Des classifications existent à cet égard, le Doing Business Index de la Banque mondiale qui illustre le degré de complexité et le coût des processus des régulations, que ce soit en termes de création d’entreprise, d’enregistrement de la propriété, d’octroi de permis de construire, de connexion à l’électricité, de procédures des échanges, ou de fiscalité. Le Doing Business Index fait également référence à la solidité des institutions légales et judiciaires pour mettre en force les termes des contrats, la règlementation de l’insolvabilité, la qualité de l’information sur les créanciers et les débiteurs, ou le dispositif de protection des investisseurs minoritaires. L’amélioration de l’indice Doing Business devrait représenter le socle des politiques publiques nationales.

Chantier n°3, consubstantiel aux deux précédents, est lié à l’investissement dans le capital humain. L’âge médian des Africains serait de 20 ans ! C’est l’âge de la digitalisation, la digitalisation de notre jeunesse, la digitalisation de l’Afrique. Quelle exceptionnelle opportunité pour les pays africains de sauter des étapes de développement, le Leap Frogging !
Des initiatives régionales méritent d’être prises pour investir dans les Massive Open Online Courses, aux cours massifs en lignes libres. Un «réseau d’alliances par le savoir», composé d’universités, de grandes écoles de centres de recherche, d’entreprises, du Sud, du Nord, d’Afrique et de l’étranger comme en Suisse, promotrice de l’idée dans le monde francophone, conjugueraient leurs moyens humains et financiers pour structurer des curricula à contenu «augmenté».

Les contenus seraient augmentés grâce à la vidéo, par les Quizz, par des exercices collectifs menés par des communautés en ligne apprenantes, correctrices, assimilant à des rythmes différentiés à travers plusieurs aires géographiques. De nouvelles communautés apparaitraient de «télé-étudiants», de «télé-apprentis», «de télé-artisans»… En somme, ce serait un réseau d’intelligences avec autant de chantiers de co-construction de cours et de parcours, concernant des thématiques les plus diverses allant des sciences jusqu’aux humanités.

5. Que fait-on dans l’entretemps avant que cette utopie fondatrice ne fasse pleinement ressentir ses effets ?

Ici, dans cette région d’Afrique, il y a un pays. Se fondant sur les liens spirituels et culturels qu’il a tissés de par l’Histoire, c’est un pays qui se positionne – secteur public et secteur privé rassemblés – pour représenter un moteur-clé de cette dynamique régionale : il s’agit du Maroc. Ce pays a considéré que l’Afrique est sa nouvelle profondeur stratégique, sa «nouvelle frontière de développement». Il se positionne à juste titre, car il dispose d’une offre crédible pour d’autres pays africains, comme dans les domaines de l’électricité, de l’électronique, de l’énergie renouvelable, des nouvelles technologies d’information et de la communication, dans le médicament ou l’habitat. Last but not the least : dans le secteur financier. Ce pays dispose de compétences, et peut donc représenter une plateforme de rayonnement du capital humain. Plusieurs de ses entreprises sont déjà actives en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne, dans les secteurs de la banque et de l’assurance, des mines, des télécoms, de la construction et de l’électricité.
Notre cinquième conviction, Mesdames, Messieurs, est que l’intégration financière représente un accélérateur de l’intégration économique régionale. C’est tout le sens du projet qui sera évoqué tout à l’heure dans ce Forum : Casa Finance City, un programme qui tient à cœur à la communauté financière et auquel elle contribue d’une manière décisive. Sa mise en place, au Maroc, peut permettre d’accélérer le processus d’harmonisation des réglementations, des procédures liées à l’investissement, aux cotations d’entreprises, aux systèmes de paiement dans les pays d’Afrique subsaharienne au service duquel il a été conçu. Il devrait permettre d’accélérer également l’inclusion financière, c’est-à-dire l’élargissement de la bancarisation et l’inclusion de l’informel au Maroc et ailleurs en Afrique.

6. Enfin, notre sixième et ultime conviction, est que des groupes financiers comme celui que je représente aujourd’hui, le Groupe BMCE Bank, est l’archétype du moteur d’intégration entrepreneuriale – permettez cet autre néologisme –, car il est engagé dans une démarche d’entrepreneuriat continental, dans le domaine de la banque et, bientôt, de l’assurance. D’ambition panafricaine, il est présent dans une quinzaine de pays en Afrique francophone et anglophone et, bientôt, lusophone et hispanophone. L’enseigne de la banque en Afrique subsaharienne, contrôlée à hauteur de 65% par BMCE Bank, n’est-elle pas, en elle-même, une promesse ! «la Banque de l’Afrique = Bank Of Africa ?»

Ce credo africain, Mesdames, Messieurs, ne sacrifie pas à un quelconque effet de mode. Il trouve sa profondeur dans l’histoire de notre entreprise, lorsqu’il y a près d’un quart de siècle, la banque publique BMCE fut sollicitée par les autorités multilatérales de conduire le redressement d’une banque au Mali qui, depuis, est devenue majeure dans le paysage bancaire ouest-africain, ou lorsqu’il y a près d’une décennie, l’actionnaire public congolais d’une banque congolaise a, pareillement, sollicité BMCE Bank pour la redresser et en assurer la gestion.

Notre «africanité financière», c’est la foi dans les vertus d’un partenariat maroco-africain associant, au besoin, des partenaires procédant d’Europe, d’Asie ou d’Amérique. Le Partenariat public-privé, xéno-afro-africain représente la clé du succès d’une accélération significative de la croissance de nos économies au nom d’un développement durable, socialement équitable et régionalement équilibré, au profit de l’ensemble des composantes de notre Continent-patrie = l’Afrique.

Les contenus seraient augmentés grâce à la vidéo, par les Quizz, par des exercices collectifs menés par des communautés en ligne apprenantes, correctrices, assimilant à des rythmes différentiés à travers plusieurs aires géographiques. De nouvelles communautés apparaitraient de «télé-étudiants», de «télé-apprentis», «de télé-artisans»… En somme, ce serait un réseau d’intelligences avec autant de chantiers de co-construction de cours et de parcours, concernant des thématiques les plus diverses allant des sciences jusqu’aux humanités.

Allocution de Brahim Benjelloun-Touimi,
administrateur directeur général de BMCE Bank