Le dimanche 6 mai : On a pris la Bastille et elle n’a pas eu mal ! Suite et fin de l’article “Un dimanche 6 mai à Solférino : le changement c’est maintenant.”
L’exode
Et puis, le vrai n’importe quoi commence ! Tout ceci n’était qu’un prélude, un amuse-bouche à l’orée de ce qui allait devenir la méga-grosse teuf de l’année ! Les gens sont ivres de joie, j’en vois qui pleurent, d’autres qui se mettent à galoper en beuglant des phrases inaudibles, des drapeaux et des fanions fendent les airs emmenés par les cris de bonheur des protagonistes. « Sarkozy, c’est fini ! », deux tercets avec une rime aisée, c’était évident, mais je ne me lasse pas de scander comme un gamin ce slogan ! Naguère compressée, la foule s’est d’un seul coup dilatée comme un immense ouf de soulagement, se propageant dans toute l’avenue et les ruelles avoisinantes. Tout le monde a le sourire jusqu’aux oreilles, et il est temps d’aller fêter ça ! « Allez, on va à la bastille, y a un gros rassemblement de prévu !!! » entend-on dans les rangs roses et rouges, et comme ça, nous déambulons tout contents que nous sommes d’avoir délogé le chef des gniafs. Chloé est J.O.I.E, elle jubile car elle sait qu’elle vit un moment historique, elle aussi a hâte de découvrir une France drapée d’un tissu socialiste !
Et puis comme d’un commun accord, tout ce beau monde se dirige vers le pont de la Concorde, comme ça, instinctivement. Ce doit être un truc de gauchistes de se mettre à marcher qu’ils sont mécontents ou bien jouasses. Les premières fusées de liège filent dans le ciel, excellente idée, ma bouteille de crémant hard-discount (réputation à défendre) n’attendait que ça! Une pose jubilatoire pour la postérité, et le bouchon s’envole rejoindre ses petites copines avant de s’échouer sur une mer d’asphalte, et qu’une jeune piétonne s’empressera de ramasser. Trop de pression, le crémant remonte et sors par mes narines, j’en fous partout, mes doigts collent et mes vêtements sont trempés. Même surprise pour Chloé et Gérard. « Mais il est imbuvable ton crémant, il est tiède ! Pouah ! » S’exclame Gérard. Je sais, il craint, on l’avait oublié dans le sac de sport toute la journée. Mais on s’en fout, juste une gorgée pour la symbolique. Devant l’assemblée nationale, les marcheurs ont envahi le pavé, bloquant ainsi totalement la circulation, et créant des bouchons monstres. Les véhiculés sont les premiers étonnés, normal, beaucoup se retrouvent encerclés par une bande d’énergumènes euphoriques se collant langoureusement à leurs vitre en faisant risette. Un bus passe, Chloé me désigne un passager tournant frénétiquement les pages de son journal, en me disant : « Regarde-le, il est carrément dégouté, il a dû voter UMP, c’est pas sa journée ! », puis sur le Pont de la Concorde, Gérard saisit l’occasion en vol pour arroser à grands jets de piquette-crémant les candides touristes d’un bateau-mouche qui ne passait pas loin. Excellente idée ! Rien ne se perd…
Arrivé à la Concorde, on se tient les côtes, la place est aussi vide qu’un concert de Doc Gynéco après son ralliement à l’UMP, ils ont eu le temps de remballer, je suis dégouté de ne pas pouvoir me moquer des gens en les montrant du doigt. « Ils auraient pu au moins laisser les petits fours, les salauds ! » entends-je.
Finalement, nous réalisons que nous nous dirigeons droit vers la Bastille par la voie pédestre, j’en ai déjà mal aux pieds rien que d’y penser. C’est jour de fête aujourd’hui, demain on se réveillera avec une bonne gueule de bois ! La moitié de la chaussée est envahie par la plèbe, à contre-courant roulent à faible allure des voitures paraissant aussi joyeuses que leurs occupants. Et ces mêmes gens n’hésitent pas sortir le buste par la vitre pour agiter fièrement leurs étendards tricolores et toper des vagues entières de mains de toutes les tailles et couleurs. C’est un peu comme si la moitié des cœurs de France, avait chaviré dès la première note de cette cacophonie politique pour devenir tout de go complètement dingue !
Et c’est parti pour les cabotinages que j’avais évoqué dans le papier précédents : « Ahah, regarde !!! Les chars russes défilent sur les champs ! » dis-je en pointant du doigt une clio grise avec un petit vieux dedans. « Franchement, sans mauvais jeu de mot, il n’était pas à la hauteur. », Gérard me fait sourire avec ce constat très honnête. « Eva Joly à la justice, comme ça elle le poursuivra même jusqu’en Patagonie pour le trainer devant un tribunal ! ». Le trajet sera ponctué de ces petites rodomontades que les gens s’échangeront comme dans une partie de ping-pong que l’on aurait joué sous poppers. Tout le monde ricane autour de moi, c’est une fronde unie contre le mépris des élites. « Ça y est, les bataillons de l’armée rouge ont envahi Paris » m’éclate-je à constater à la vue d’un papa portant son enfant de rouge habillé sur ses épaules.
Tant de bonheur affiché, c’en était trop pour moi… « Mais où es-tu ???? » Hurlai-je au téléphone à mon pote Matthieu qui me harcelait de ses textos : « Y a plus le nain ! ». Je n’étais pas le seul, une frénésie communicative s’était emparée des protagonistes de ce vaudeville. C’était compréhensible, l’histoire ne vit que parce qu’elle se raconte, le peuple était dans la rue, pardieu !
Une rivière humaine prenait son cours le longe de la rue de Rivoli. Ce cortège s’étirait sur des kilomètres, et les heureux étaient partout partout, debout sur les arrêts de bus, en équilibre sur des conteneurs à verre, gesticulant dans le métro, à la fenêtre de leur balcons agitant leurs mouchoirs rouges, tourbillonnant sur une piste d’asphalte, enlacés les uns dans les autres.
Mais vous êtes juste tellement beaux !
Oh oui, qu’est-ce que l’ai aimée cette France multicolore, soudée par les liens de la fraternité, solidaire et unie dans le soulagement. Enfin, elle se sentait française, elle entonnait à gorge déployée la marseillaise et montrait ostentatoirement sa petite carte électorale comme pour affirmer : « Je suis français moi aussi, et j’en suis tellement fier ! ».
Oui, peuple de France, toi que l’on ne montre dans les JT que dans l’unique but de te mépriser, te blâmer, te plaindre, te pétrir de honte, te stigmatiser, te détester, te consoler, tu as répondu présent ! Riche de ta variété culturelle et de ton métissage qui sont un trésor bien plus précieux que les toutes les statistiques comptables de technocrates, tes enfants aux qualités et aux défauts issus des quatre coins du globe, ont marché main dans la main sous un même drapeau.
Ces gens-là que tout opposait, étaient ce soir des enfants de la république. Ils n’étaient pas beaux, ils étaient magnifiques.
Songe d’une nuit printanière
Il faisait tellement cette nuit, et cette petite brise printanière… On ne sait comment, la nuit est tombée d’un seul coup sur cette bande de copains de 200000 personnes.
On l’apercevait au loin, étincelante et majestueuse, à la fois intimidante mais tellement proche de nos joies, elle côtoyait les cieux et paraissait vraiment inaccessible, mais pour cette foule éphémère qui avait les forces nécessaires pour retourner les montagnes, rien n’était impossible. A son approche, les éclats de rire retentirent, on riait sans raison, juste pour exprimer notre joie d’être là, même la plus pourrie des vannes serait passée comme un rapport de la Cour des comptes au broyeur de l’Elysée. L’excitation s’était emparée des fêtards qui se ruaient vers la place.
C’était un magnifique bal aux lampions avec toutes ces lumières partout et cette clameur inédite. Les sourires étaient partout, dans cette place immergée par une marée humaine, qui comme un seul homme s’esclaffant, s’envolait (lyriquement) au moindre début de marseillaise ou de ritournelle partisane. La place vibrait d’une onde continue, et continuait à grossir au fur et à mesure que les chalands s’y attroupèrent. A vingt-deux heures exactement, il était impossible de fouler le pavé tant les paires de baskets, il y avait là de quoi faire hurler le plus le plus délicat des agoraphobes, mais la foule n’était pas aveugle en ce soir béni, et pour contredire Tonton Georges, n’était pas à cette foule de gens que l’on aurait pu attribuer ce petit vocable de trois lettres, pas plus (A écouter : « Le blason » G.Brassens, chef-d’œuvre de la poésie musicale). Bien au contraire, les hommes faisaient connaissance, blaguaient entre eux, se tapaient sur l’épaule, conversaient dans diverses langues, trinquaient et buvaient dans la même bouteille, offraient leur soutien à ceux qui en avaient besoin. Franchement, qu’aurions- nous pu craindre d’une foule si sympathique ? Admirer tous ces gens agitant des drapeaux, rendait Paris encore plus belle qu’elle ne l’est déjà dans cette ambiance de coupe du monde.
Et la Bastille, nous regardait. D’un air maternel. Putain, qu’elle devait être fière, trente et un ans qu’elle n’a pas vu ses rejetons foutre une pagaille pareille chez Elle.