Lorsque le sujet de « juifs noirs » est abordé, il semble que ce soit pour faire référence au cas déjà très médiatisé des juifs d’Éthiopie, les Falachas ou Beta Israël.
Peu d’entre nous penseront aux milliers d’Afro-américains qui se sont convertis au judaïsme ou encore aux Métis juifs, dont la mère est juive et le père est noir. D’ailleurs, les juifs aux États-Unis, majoritairement ashkénazes, sont très largement associés au fait d’être « blancs » (Brodkin, 1998; Goldstein, 1997; Rogoff, 1997; Rubel, 2004).
Or, les juifs afro-américains commencent à peser dans la balance démographique juive. Les chiffres fluctuent selon la manière de définir « qui est juif ». Au sens strict, est juive toute personne dont la mère est juive et qui pratique la religion ou dont la conversion est reconnue par la Halakha. Selon cette définition, il y aurait approximativement 135 000 juifs afro-américains aux États-Unis (Gelbwasser, 1998; Rubel, 2004). Si l’on s’appuie sur une définition plus large, selon laquelle est juive toute personne qui se définit comme telle et qui pratique la religion juive, ils seraient alors entre 260 000 et 300 000 (Gelbwasser, 1998) !
Loin d’être une religion prosélyte, les cas de conversions au judaïsme sont toujours le fruit d’une démarche personnelle longue et complexe, nécessitant une sincère motivation du candidat. Aussi, sont-ils assez peu nombreux par rapport aux deux autres religions monothéistes. La conversion d’Afro-américains au judaïsme n’en est que plus intéressante. En effet, les « Black Church », catholiques, protestantes, évangéliques ou pentecôtistes, restent très puissantes dans les communautés afro-américaines (Rubel, 2004).
Cela implique que les Afro-américains sont moins enclins à se convertir à des religions qui ne relèvent pas de ces églises. Le cas échéant, il semblerait plus logique qu’ils se dirigent vers l’islam, qui est considéré comme une façon de rejeter la religion de « l’homme blanc » et d’embrasser la cause noire, à l’image de Malcom X. À l’inverse, la conversion au judaïsme est souvent interprétée par la communauté afro-américaine comme un rejet du converti envers elle et plus largement comme un déni de son identité noire.
L’accueil dans la communauté juive peut également tester la volonté du futur converti, qui pourra être l’objet de discrimination et ressentir une certaine forme d’exclusion en son sein. De plus, la conversion des Afro-américains représente deux enjeux : celui d’embrasser le destin du peuple juif, et par cela même le fait de « choisir d’être choisi », et celui de devenir une minorité au sein d’une minorité et par conséquent être l’objet de racismes en tant que noir et en tant que juif !
Subissant des pressions de la communauté afro-américaine comme de la communauté juive, les futurs convertis sont ainsi amenés à négocier en permanence leur identité dans la société américaine. Enfin, l’histoire américaine nous avait amenés à considérer les catégories sociales de « juif » et de « noir » comme exclusives (Rogoff, 1997; Weinstein, 1996; Yankovich, 1995). Les cas d’Afro-américains convertis au judaïsme vient brouiller les frontières entre les catégories sociales de « juif » et de « noir » dans la société états-unienne.
Malgré l’ampleur du phénomène, la littérature traitant spécifiquement des conversions d’Afro-américains au judaïsme reste quasi inexistante (Rubel, 2004). Si vous voulez en savoir davantage sur le sujet, je vous propose une courte bibliographie composée de différents types d’ouvrages : les études existantes sur les juifs afro-américains (Chireau et Deutsch, 2000; Gilman, 1994; Rubel, 2004), des récits personnels d’Afro-américains convertis au judaïsme (Lester, 1988; Myrowitz, 1995; Weiss, 2000), des articles issus de la presse juive sur cette question (Josephs, 2000; Gelbwasser, 1998; Goldberg, 2001; Greenberg, 1998; Rinn, 1995; Yankovich, 1995), des études traitant des relations entre les juifs et les Noirs (Adams et Bracey, 1999; Goffman, 2000; Halpern, 1971; Toll, 1987) et enfin deux sites Internet qui constituent des espaces communautaires pour les juifs afro-américains.
Cet article a été rédigé par André-Yanne Parent.
Bio de André-Yanne : Anthropologue, consultante en recherche et coordonnatrice du Comité Ad Hoc du Réseau pour la stratégie urbaine de la communauté autochtone du Grand Montréal.
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