Samuel Nadeau « Etre professionnel c’est bien, mais qu’est ce qui se passe après ?»

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Samuel Nadeau « Etre professionnel c’est bien, mais qu’est ce qui se passe après ?»

Par Jean-Luc Agboyibo

Nous sommes en février 2016, je viens d’assister au All Star weekend à Toronto (Canada). Je décide de passer une semaine à Paris afin de profiter des amis et de voir quelques partenaires, avant de rentrer à Abidjan.

Depuis quelques semaines un certain Samuel Nadeau me suit sur Instagram, pourtant je poste peu souvent et il n’y a rien de passionnant à voir. Je ne le connais pas mais son visage m’est familier. Après réflexion, je me souviens l’avoir croisé dans le métro parisien en compagnie de Mickael Piétrus, ancien joueur NBA français.

Il vient de sortir un livre, son autobiographie. Un an auparavant, j’avais lu l’ouvrage de Mansour Thiam, un basketteur français, que j’avais trouvé plutôt intéressant avec des anecdotes sur les acteurs du basket français. Je décide donc de me procurer l’ouvrage de Samuel pour en savoir plus sur son récit qu’il a intitulé « Rien que pour toi maman ». Je lui écris et on décide de se rencontrer.

Le 19 février 2016, lorsque je pars à la rencontre de Samuel à Sarcelles, je ne sais absolument rien de lui. Quand on se retrouve à la gare, Samuel est en survêtement. Le type est tatoué de partout, c’est « Prison break ». Très vite on discute de son livre. Kapusczinski disait qu’il faut lire 100 pages pour écrire une belle ligne. Je demande donc à Samuel d’où vient sa passion pour l’écriture et s’il a beaucoup lu dans sa vie. Il me répond qu’il a lu « Médecin Malgré lui » à l’école. L’autobiographie de Claude Makelele était le second livre qu’il avait lu dans sa vie. Le déclic pour l’écriture de son récit est venu de l’ouvrage de Mansour Thiam.

«J’ai littéralement dévoré le bouquin dans l’avion en rentrant d’un voyage en Martinique. Le livre m’a choqué. Je le connaissais mais je ne savais pas d’où il venait. L’amour pour son père, son enfance, le lien qu’il a fait entre le sport et la religion… Je me suis dit que c’était un beau livre qui aurait dû sortir plus tôt. »

Il en parle à Mansour, qui le pousse à écrire.

« Quand tu lis le livre tu as l’impression que je te parle. Je voulais un livre authentique. C’était une belle expérience et je me devais de le faire. Tu sauras tout là-dedans. Ce n’est pas un livre de basket, c’est ma vie. Ca commence avant et ça se finit maintenant. Il ne faut pas s’interdire de rêver. Il y a des sacrifices à faire. Venant de la banlieue, je voulais montrer que ce n’était pas un handicap. Ne pas avoir de père n’est pas une excuse et au contraire peut servir d’émulation».

Je ne connaissais pas Samuel en tant que basketteur, mais après enquête je me suis rendu compte qu’il était pourtant très connu dans le milieu. Son talent était reconnu de tous mais il était souvent présenté comme un gâchis.

«Les gens ne savaient pas beaucoup de choses sur moi. Je voulais aussi donner la vraie version, mon point de vue. Je voulais expliquer mes choix. C’est un partage. Les médias ramènent la réussite à une image façonnée. La réussite c’est pouvoir avancer dans son quotidien, savoir qui on est, accepter le fruit de notre travail. Ton père a fait de toi ce que tu es aujourd’hui, c’est une réussite. Tu t’es occupé de ton frère, c’est une réussite. Les gens ne valorisent pas assez les différentes formes de réussite. On valorise celui qui met un but le samedi plus que celui qui balaie le sol en bas de chez soi. Ma mère m’a donné une éducation simple. J’appréciais les bonbons qu’elle m’offrait. J’appréciais un câlin. Tu ne peux pas connaître la valeur de 100 euros si tu n’apprécies pas 5 centimes. J’ai vu des choses trop tôt qui m’ont obligées à devenir un homme trop vite. Je voulais aller en NBA pour gagner de l’argent et sortir ma mère de la galère. J’ai vu que j’avais du talent, j’ai foncé.»

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Je ne suis pas un grand spécialiste du basket mais cette rencontre m’intrigue. Le type a été classé parmi les meilleurs joueurs au lycée aux Etats-Unis et il signe un gros contrat à 18 ans au Real Madrid. Qu’est ce qui n’a pas marché ? Je décide de prendre le temps de lire son livre et de comprendre un peu mieux cette histoire. Le profil de Samuel m’intéresse pour nos différentes activités au sein de LYSD. Je ne fais pas la promotion du basket, je tente de contribuer à l’éducation des jeunes par le basket. Quoi de mieux qu’un ancien joueur qui a conscience du fait que le basket est un puissant outil mais pas une fin en soi ?

« Je ne voulais pas travailler quand j’étais petit. Je ne voulais pas aller à l’école. L’école est importante et je l’ai trop minimisée, je le regrette. J’aurais assumé si je devais laver les carreaux chez McDonalds ».

« Certains parlent des inégalités mais celles-ci seront toujours présentes. L’action de tout le monde devrait être de s’accepter soi même en premier. En étant acteur de sa vie, on peut faire des choses. Aujourd’hui, je suis éducateur sportif pour la ville de Sarcelles, je suis au contact d’une centaine d’enfants tous les jours. Je travaille le soir pour la ville de Pierrefitte et on joue en excellence région. Je respecte mon périmètre et j’essaie d’impacter la vie des autres de manière positive.»

Samuel correspond aux valeurs que l’on défend à travers notre programme MiLéDou. Le délai était trop court pour que je puisse l’inviter sur notre tournée annuelle de 2016 au Togo mais ce n’était que partie remise. Cela nous a laissé un an pour apprendre à mieux nous connaître. Dans son ouvrage, Samuel explique qu’il a été au contact d’agents et d’entraineurs véreux. Ca tombe bien, la saison 2016-2017, nous avons justement travaillé avec l’Ambassade de France au Togo, Canal+ et la Fondation Ecobank sur le phénomène de la traite des humains. Ensemble, nous voulions utiliser le basketball et notre proximité avec les jeunes pour les sensibiliser sur ce fléau qui sévit dans la sous-région Ouest Africaine.

En février 2017, j’ai proposé à Samuel de nous rejoindre pour notre tournée annuelle au Togo. Il n’a pas hésité une seule seconde : « Je veux venir en Afrique, j’en ai toujours rêvé. Je veux rendre ce qu’on m’a donné. Vos activités et le sujet de la traite me parlent. Je vois des jeunes africains venir en France ce serait bien aussi que l’inverse se fasse. C’est à dire des jeunes de banlieues françaises aillent en Afrique pour réaliser la chance qu’ils ont en France. En connaissant d’autres choses, on apprécie mieux ce qu’on a.»

« Apprécier ce qu’on a » est la base du vivre ensemble. Certains diront que Samuel est monté tout en haut (Real Madrid) puis est descendu tout en bas (Excelle Région Pierrefitte). Pour ma part, j’ai vu un homme heureux dans son travail et dans son foyer auprès de ceux qu’ils aiment. Le sport c’est une période de la vie. Notre vision n’est pas d’empêcher les jeunes de rêver, au contraire, mais demain se prépare aujourd’hui.

« En France, un sportif est un jeune qu’on met dans un cadre qui n’est pas adéquat avec le système scolaire. Lorsqu’on a du talent, on penche vers le basket et on délaisse les études par aveuglement. On devrait prévenir que le basket est une courte période de la vie. Malheureusement les personnes autour ne le font pas assez. Une fois que le jeune a décroché, il rentre dans le milieu professionnel et c’en est fini des diplômes. Certains parviennent à rebondir mais ce n’est pas le cas de la majorité. En plus de l’importance des études, mon conseil, pour les jeunes sportifs professionnels, serait d’investir dès qu’ils peuvent. Vis, dépenses autant que tu veux mais au moins met de coté pour une fois que tu sors du sport. Mets de l’argent de coté car dès que tu sors du basket tout le monde t’oubliera. Pour moi le chemin devrait être : « je veux être pro mais qu’est ce qui se passe après ? »

Samuel incarne nos valeurs et nous étions très heureux de l’avoir comme invité pour la 5e édition de notre tournée annuelle. Samuel était captivé, intrigué et émerveillé par ce qui se passait autour de lui. Les premiers contacts avec les jeunes ont été timides, puis tout s’est enchainé. Les joueurs de Aného, Avépozo, Kara, Kouvé, Kpalimé, Lomé, Sokodé et Vogan se souviendront longtemps de ces moments avec ce grand gaillard d’1m99 au cœur tendre que nous espérons revoir très prochainement.  Monsieur Nadeau « MiLéDou ».

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