J’étais tout mignon avec mon bleu de travail, déambulant candide le long du boulevard Voltaire sous un soleil encore timide. Chemise blanche encore indemne, sifflotant ostensiblement des mélodies de Gainsbourg et de Paolo Conte (t’as qu’à ouvrir un dico garçon !). Je me rendais au Bataclan (Paris) pour un live de Skip the Use, groupe de musique lillois dont on parle beaucoup beaucoup en ce moment (on le conseille même sur Madmoizelle, c’est tout dire !). Mon tout premier concert de punk depuis mes années fac, j’étais tout excité ! Pour couper l’herbe sous le pied de mes détracteurs, je préciserais que Skip the Use ne joue pas vraiment du punk, mais plutôt du punk open qui tirerait ses influences de The cure, Blur, Dionysos, Peter Tosh ou autres styles n’ayant pas grand-chose à voir avec ce genre musical. Le dernier opus « Can be late » (2012) en est la parfaite représentation puisque l’électro, la pop, le reggae, la transe sont subtilement distillés au fil des chansons pour conférer à cette galette une véritable palette sonore, ce qui en fait son principal atout mais aussi son plus gros défaut.
M’attendaient devant la salle, mes comparses de toujours, Carole et Guillaume, bienheureux possesseurs du précieux sésame (je peux balancer des noms, personne ne les connaît de toutes façons). Pour rester dans la roots attitude, j’avais déjà prévu des seize achetées au coin de la rue chez un arabe, mais nous n’avions que le temps d’une file pour les descendre. Belle mise en jambe avant le massacre annoncé.
Just another love song.
Tous les billets étant partis, la salle était noire de monde. Arrivée modeste des protagonistes, et sans mot dire, c’est l’électrisant « People in the shadow » que la guitare hurle depuis la scène. La fosse (dans laquelle je me trouve) commence à s’animer, au loin devant, je vois déjà des mouvements de foule se mettre en place. Slim dégueu et gueule de bois de la veille, le chanteur Mat Mastard n’aura pas attendu longtemps pour s’emparer du micro et se débarrasser de son T-shirt. Au bout de trois chansons, je m’écœure moi-même à rester immobile si loin du point chaud de la fosse, et je craque. Je retire ma veste que je dépose dans un coin sombre de la salle en espérant la retrouver à la fin du live, et je m’élance dans la foule en essayant de percer cet amas de chair pour me frayer un chemin. Comme à la (très) belle époque quoi ! Autour de moi ça grogne et ça se plaint d’être bousculé en plein concert, ça vient pour écouter du punk comme si on assistait aux noces de Figaro, mais qui donc a invité ces crétins d’hipsters ?
La rangée de fillettes s’écarte pour que je puisse rejoindre le cœur de la fosse, et la scène qui se déroule sous mes yeux ébahis ne me déçoit pas. Une horde d’armoires à glace, tatoués sur leurs torses nus, sans un poil sur le caillou se rentrent dedans avec enthousiasme, à coups d’épaules, de coudes, et parfois de boule. C’était un foutoir sans nom qui s’étendait, des gobelets et des T-shirt abandonnés se tiraient la bourre sur le sol déjà devenu glissant. Le chanteur qui haranguait de sa main droite tendue le public qui semblait pris de folie, ressemblait de manière frappante à un gourou qui exaltait ses fidèles. Du haut de mon mètre soixante-seize, je ne réfléchis pas l’once d’un instant et m’enfonce déraisonnablement dans ce bouillon de culture.
Mais vous êtes des animaux !
Dans tous les sens, je suis secoué, m’encastre dans de la matière molle (les gros libidineux, les pires !), on m’envoie valdinguer comme une boule de billard amorphe, si bien que j’en perds mon orientation et me retrouve dos à la scène. A ce moment, les douleurs corporelles du lendemain ne se font pas encore entendre mais d’ores et déjà, cette position de vulnérabilité me révulse, m’écœure… Soudain, je me jette la tête en premier vers un grand échalas qui me tourne le dos. J’envoie valser le pauvre garçon trois mètres plus loin qui s’écroule sur une femme trapue et chétive… Ah ahaha (rire sardonique) !!! Ce mec n’avait rien fait, mais quel soulagement ! Mon souffre-douleur était déjà tout désigné, il faut croire puisque je remets le couvert à moult reprises (coude dans les côtes). En général, après une belle bourrade, ce sont des vagues de gens bousculés qui nous reviennent dans la tronche (la réponse). C’est ce qui fait le charme de cette activité : tous ces gens bondissant sur place, et se tamponnant dans une organisation aveugle, anarchique, injuste et tout ceci dans une promiscuité incongrue mais consentie.
Aucun des morceaux de la set-list n’offre de répit. Le pogo ininterrompu se profile, et on fonce droit vers les une heure trente d’exercices dans la fournaise. Mat Bastard grand connard de son état excite d’avantage la foule : « Bon les mecs, c’est un peu mou tout ça, on faire comme ça : les gens à gauche là, vous allez essayer d’aller le plus à droite possible, les gens à droite, vous allez faire de même, mais vers la gauche. Ceux qui sont au milieu… ben, vous êtes dans la merde ! ». Je sens d’un coup la pression monter, beaucoup s’empressent de quitter la fosse tandis que les plus hésitants sont déjà en train de se faire dessus, et les vrais tarés du pogo trépignent d’impatience à l’idée de foncer tête baissée vers de parfaits inconnus. A droite de la scène, je suis littéralement emporté par des brutes et manque de m’éclater la tronche par terre, fort heureusement, en sens inverse arrivent d’autres olibrius, contre lesquels, je suis écrasé de part et d’autres, je ricoche entre tous et me retrouve à dix mètres de ma position initiale, un peu étourdi mais ricanant couillonnement tout seul. Je ne suis pas le seul à avoir pris cher, des ados meurtris se déploient pour aller pleurer dans les jupons de leur maman. La copine qui prend un coup d’épaule dans les dents (« T’inquiète, tu crains rien à mes côtés » lui aviez-vous assuré cinq minutes plus tôt), le binoclard qui voit (flou) ses lunettes virevolter puis se faire pulvériser par des paires de Vans impitoyables, eh oui, l’injustice est l’apanage de la folie.
Le grand bleu
Sans même avoir le temps de cirer ouf, la partie de billard reprend. Il fait une chaleur à en crever dans cette arène, et l’air est tout simplement irrespirable si bien que je prends un maximum de hauteur pour avaler de grandes bouffées d’air tiède salvatrices. Ça suinte de partout, je manque même de glisser sur une flaque incolore ! Les corps nus luisent sous les projecteurs : ils ne se cognent plus, ils glissent les uns sur les autres tellement leur derme est lisse et humide. Je déboutonne ma chemise que j’essore pour la rendre moins lourde, puis je m’arrête, et me demande combien de personnes ont contribué à mouiller mon habit de leur sueur ? Impossible à estimer, je remets mon haut et regagne la fosse. Bien évidemment ça ne sent pas la rose, mais je ne développe pas.
Autre bizarrerie du groupe : le groupe s’arrête d’un coup de jouer, et impose avec chantage au public de poser son cul à-même le sol. Nous sommes près de quatre individus par m², autant dire qu’en nous exécutant, c’est la pagaille totale, les premiers assis servent de siège pour les retardataires, on voit des gens qui tiennent en équilibre sur un coude ou trois doigts, manquant de s’écrouler, personne ne proteste, c’est un entassement de troncs et de membres, qui se plaint ou bien s’esclaffe. Charmant tableau. Et avant même que le public ait pu prendre ses aises, M. Bastard se met à hurler des imbécilités pour exciter la foule informe, suivi rapidement par les riffs tranchants de la guitare et les futs fracassés par les coups de baguettes d’une marche militaire.
Nous pouvons donc diviser le monde en deux : d’une, les gens qui dans un réflexe habile de survie prennent appui sur tout ce qui traine pour se redresser avant d’être broyé par les petits voisins (« l’enfer c’est les autres »), et de deux, lesdits « appuis » dont les genoux, bras, cous, figures servent de supports providentiels pour ces derniers. Les premiers sont tout excités d’être sortis vivants de là, et jubilent comme un ado qui vient de se faire Space mountain, et de l’autre, des visages de désespoir déformés par la grande injustice évoquée précédemment, leurs cris disparaissent avec eux, engloutis par les zautres. Qu’est-ce qu’on a bien ri ! La musique ne s’est jamais arrêtée entre temps.
Singin’ in the rain !
Et soudain, une main inconnue me saisit l’épaule. Je me retourne, une fille maigre comme un clou et dont les gouttes de sueur perlent du nez, me crie dessus. Je ne comprends rien, mais elle semble me connaître. Je feins de la reconnaître en concéder un hypocrite : « Ah ouiiiiiii, mais c’est toi ! », elle vocifère des propos incompréhensibles à cause de la sono trop balèze et retourne pogoter sans demander son reste. Une petite meuf toute chétive qui prend un maximum d’élan pour aller dégommer des gros dégueux de 100 kg, moi ça me touche ce flot de bons sentiments. Il parait que l’on trouve de tout dans la faune de concert, là, j’ai été servi !
A la fin des cent minutes éreintantes de son non-stop, j’ai la tronche dépitée de ceux qui ont pris un RER B bondé en plein cagnard. Trempé de la tête aux pieds, on dirait que l’on m’a poussé dans la Seine, dans la main droite, je tiens avec dégoût une boule d’habits enroulée car je me rends compte que c’est un véritable nid à microbes. Puis, je me représente dans la tête lesdits micro-organismes avec la tronche des bactéries mochissimes de Dr. Mario, ça me fait ricaner, ce n’est pas si grave au final. J’ai l’air fin devant mes chums qui me retrouvent à la sortie, partagés entre l’hilarité et la répulsion, au-delà de mon look « dégâts des eaux », je crois que c’est mon odeur de fennec qui les éloigne.
Il fait un froid sibérien dehors. Tant pis, ça valait grave le coup !