Récemment, j’ai été surpris d’apprendre qu’il était possible, et même courant de recevoir des notifications de la part de son application Facebook sur son smartphone (oui, je suis un vieux con). Cet indicateur qui vous interrompt pour vous rapporter des actualités allant du like sur votre prise de position (« 10 min de retard dans le RER : ras le cul des cheminots ») à une invitation à un jeu qu’un sombre abruti a envoyé à tout son réseau pour chopper des vies gratuites.
Déjà que les textos et les appels nous font chier, alors pourquoi s’emmerder à recevoir des diarrhées en prose électronique de la part du Monde, de la SNCF ou de Twitter ? Pour que ce téléphone de merde m’interrompe intempestivement alors que je suis en train de causer avec mes chums ? En quatre mots, ON S’EN BRANLE !
Depuis un mois, tous ont le nez vissé à Pokémon GO, cette sombre application qui vous promène dans des jardins publics avant de vous faire atterrir dans un McDo. Superbe idée de que faire sortir les gens et de les faire converger vers des lieux communs, mais ce rassemblement d’apprentis dresseurs donne l’image d’un cheptel de lemmings coiffés d’œillères. Tant qu’à vous mélanger, bourrez-vous la gueule, baisez comme des lapins, bastonnez-vous, échangez, intéressez-vous à l’autre. Mais ne pointez pas de l’objectif de ces bestioles à la con qui n’existent pas dans un décor de gens et d’objets bien réels !
Le changement est bien plus symptomatique : aujourd’hui, il faut optimiser son temps, occuper son temps libre à tripoter son écran connecté. Depuis combien de temps, n’avez pas pris une pause sans jeter un œil à votre téléphone ? Depuis quand n’êtes-vous pas sortis de chez vous sans cet étron électronique ? Même votre clope est faite de circuits imprimés ! N’oubliez pas que si vous avez un lit, des gens, la santé, 4 murs, un frigo rempli, vous n’avez besoin de rien d’autre, bande de bachibouzouk !
Et le pire dans tout ça, c’est que l’outil est devenu tellement légitime qu’il en est devenu prescripteur-autorité dans vos choix de vie : destinations touristiques, soldes de saison, qualité de l’hôtel, critiques de film, tronches des meufs en ligne, météo, livraison de bouffe à vélo, chauffeur amateur, et tutti quanti. Le téléphone est la prolongation de votre existence vers la connaissance du monde si bien que sans cette prothèse, vous êtes incapables d’interagir avec ce dernier.
La cause n’est pas la technologie, mais plutôt ce qu’elle représente pour les hommes, et ce qu’elle a remplacé, c’est-à-dire le lien humain. Pourquoi s’emmerder à demander son chemin à quelqu’un alors qu’on a Google Maps ? Pourquoi se faire chier à aller en magasin alors qu’on peut se faire livrer par un drone ? Ce que les nouveaux modèles d’affaires ont supprimé c’est l’humain donc la contrainte, d’un seul coup, tout est devenu est plus simple, plus rapide, et pourtant la vie n’est pas plus facile. On est de plus en plus connectés les uns des autres, et pourtant on est incapables de se sociabiliser. Aller causer à une inconnue sans Tinder rélève aujourd’hui de la perversion.
Au lieu de communiquer par le prisme de ces écrans connectés, comme si vous jouiez à Portal. Mettez votre cellulaire en vibreur et désactivez toutes ces notifications de merde, parce qu’il n’y a pas d’urgence, et que s’il y en avait une, ce n’est pas Twitter ou Instagram qui vous l’apprendrait.
Vous n’avez pas personne sous la main ? Faites la vaisselle, faites de la marche réflexive, prenez un bon bouquin, lisez le journal, posez votre regard sur le trépied de votre imaginaire, et contemplez ce monde physique et tangible qui vous entoure. Avec un peu de patience, les beautés ineffables — et non restituables par les technologies — de cet univers composé d’échanges humains vous sauteront aux yeux.
Offrez toute votre attention aux personnes qui vous font face, que vous les aimez ou que vous envisagiez de les aimer, et lancez-vous dans des conversations engagées, refaites le monde en vociférant ou en murmurant, esclaffez-vous ou offusquez-vous, ne vous inquiétez de rien hormis de votre discussion, je vous l’assure, ces moments privilégiés valent tout l’or du monde.
L’écran n’est qu’un filtre à la réalité. Et même embellie, l’image projetée sur votre écran ne sera jamais qu’une pâle copie de l’existant.