Thomas Sankara, discours du 15 octobre 1987

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Thomas Sankara fut assassiné le 15 octobre 1987, alors qu’il devait prononcer un discours lors d’une réunion ce même jour.

Thomas sankara article
Crédits photo, Phabellis

Thomas Sankara est une référence au Burkina Faso, en Afrique, en Europe et même dans le monde entier. Mais qui était Thomas Sankara ? Thomas Sankara est un homme politique anti-impérialiste, pan-africaniste burkinabé. Il est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta, et meurt assassiné le 15 octobre 1987. À la fin des années 70 ce pays est dans une ambiance révolutionnaire avec des coups d’État à répétition. Début des années 80, l’armée est au pouvoir, ce qui n’est pas au goût d’une partie de la population. Cet homme rempli d’idées et de courage, prit la décision avec l’aide de son commando d’élite de mener une révolution contre le régime en place.

Il incarna et dirigea la révolution burkinabé du 4 août 1983 jusqu’à son assassinat lors d’un coup d’État qui amena au pouvoir Blaise Compaoré, qu’il considérait comme son frère. Thomas Sankara a notamment fait changer le nom de la Haute-Volta, issu de la colonisation, en un nom issu de la tradition africaine, Burkina Faso : “le pays des hommes intègres” et a conduit une politique d’affranchissement du peuple burkinabé. Son gouvernement entreprit des réformes majeures pour combattre la corruption et améliorer l’éducation et l’agriculture. Thomas Sankara tente également de rompre avec la société traditionnelle inégalitaire burkinabé, en affaiblissant le pouvoir des chefs de tribus, et en cherchant à intégrer les femmes dans la société à l’égal des hommes.

Bande annonce du film-documentaire sorti le 3 septembre 2014

 

Retrouvé par le journaliste Denis de Montgolfier, le discours du 15 octobre 1987 est quasiment méconnu de tous à ce jour.

“Quelques rappels afin de bien analyser son contenu. La crise perdurait au sein du Conseil National de Résistance. Sankara avait convoqué une réunion de l’OMR (Organisation des militaires révolutionnaires) le 15 octobre au soir où il devait prononcé ce discours. En effet peu de temps auparavant, il avait demandé à tous les militaires de sortir de l’UCB, une organisation politique dans laquelle nombreux étaient ceux qui complotaient de la façon dont le décrit Thomas Sankara dans cette intervention. Autre remarque, ce discours anéantit toute l’argumentation du Front Populaire qui consiste à dire que Thomas Sankara préparait l’assassinat de Blaise Compoaré et de ses amis.”

 


“Chers Camarades,

Le prestige de la Révolution et la confiance que les masses lui vouent ont subi un grand choc. Les conséquences en sont une remarquable perte d’enthousiasme révolutionnaire chez les militants, une sérieuse diminution de l’engagement, de la détermination et de la mobilisation à la base, enfin, la méfiance, la suspicion et partout, le fractionnisme au sommet.

Quelles en sont les causes ?

Il y a d’une part ce qui pourrait nous diviser et qui relèverait des questions profondes de fonctionnement des structures, d’organisation de la vie interne du CNR, des positions idéologiques et il y a d’autre part les questions de rapports humains entre les acteurs, animateurs que nous sommes tous. Mais, pour importantes que soient les questions organisationnelles et idéologiques, elles se révèlent dans notre cas avoir moins déterminé la situation présente. En effet, toute organisation connaît en son sein, un affrontement des contraires puis une unité de ces mêmes contraires. L’unité des contraires est toujours éruditionnelle, elle n’est jamais donnée une fois pour toute, elle est relative et temporaire. « L’unité des contraires est en conséquence absolue, exactement comme le développement et le mouvement sont absolus. » C’est pourquoi l’équilibre est lui même temporaire. Il peut être à tout moment remis en cause. Il nous revient de travailler à l’assurer à le préserver le plus longtemps possible, à le rétablir chaque fois qu’il aura été menacé, voire rompu.

Dans le cas des questions fondamentales organisationnelles et idéologiques, nous avons bénéficié du fait que chaque fois que nous avons estimé devoir émettre un point de vue différent du mien, défendre une position contraire à la mienne, vous l’avez fait en toute liberté et en toute confiance. Je l’ai adopté et appliqué, de même que les conseils, suggestions et recommandations. Du reste, et en règle générale, la résolution des questions entre les hommes est toujours aisée dès lors que règne la confiance. En effet, l’objectivité s’impose dès que vit la confiance. C’est dire que tant que la révolution sera régie par des principes, le débat franc, la critique et l’auto critique suffiront à dissiper tout malentendu, tout désaccord pourvu que s’impose la confiance.

Travaillons donc à développer la confiance et préservons-la de toute critique, de toute menace. A l’inverse des questions de principes, dont la résolution s’appuie aisément sur la confiance, les problèmes de rapports humains, subjectifs ne connaissent rien d’autre comme solution que la confiance totale. En cela, les intrigues de certains éléments de nos rangs ont fait plus de torts, plus de ravages en quelques mois, que les années des plus farouches affrontements politiques et idéologiques entre le CNR et des organisations adversaires de gauche.

Prenant leur appartenance au CNR comme la garantie inattaquable de leur label de révolutionnaire, ces éléments se sont crus la voie royale ouverte pour la réalisation de leur vision de la société, de la place qu’ils entendent y jouer, du rôle qu’ils s’y assignent. D’un coté la surenchère verbale de gauche, de l’autre une pratique de voyou. Tout cela dans la tranquille assurance que le CNR les prémunit contre toute attaque et que le parlementarisme de ce même CNR leur a ouvert des droits de minorité de blocage.

Ces droits, ils les utiliseront abusivement pour couvrir tous ces comportements licencieux indignes d’un militant révolutionnaire, mais que personne ne leur opposera sous peine d’être soupçonné de vouloir s’opposer au CNR. C’est de l’opportunisme !

A l’intérieur, le souci de ne perdre aucun militant, surtout les nouveaux venus, a plutôt nui à la fermeté et annihilé toute rigueur contre ce que chacun constatait comme étant de l’indiscipline et un discrédit préjudiciable à terme à l’autorité du CNR.

Tout le monde est témoin du dilettantisme, de la légèreté qui ont caractérisé les comportements d’éléments de cet acabit, et émaillé leur pratique sociale et militante. Le titre de membre du CNR a été utilisé par eux pour influencer les masses à des fins personnelles contraires aux intérêts de la révolution. Mais le plan criminel de leurs attitudes, c’est la paralysie de la Direction qu’ils ont provoqué en travaillant sans relâche à créer l’impression qu’ils se sont identifiés à certains dirigeants imminents incontestés parce que respectables et respectés.

Dés lors, et sous ce couvert ils pouvaient imposer et leurs caprices et leurs indisciplines sans crainte d’aucune mesure. Ils se sont autorisés toutes sortes de pratiques sociales, couverts qu’ils se sont estimés de l’immunité de « proches copains » de tels ou tels dirigeants. Leurs positions élevées dans les structures du CNR aidant, positions tirées non d’un mérite établi mais d’une répartition arithmétique entre groupes au CNR, ils ont de fait maquillé de vraisemblance leurs intrigues.

La révolution a beaucoup souffert de ces éléments-là. Incapables d’élever le niveau des débats, ils l’ont tiré en arrière. Ils l’ont rabaissé. Redoutant l’unité comme étant la fin de leurs « droits princiers de naissance », ils ont démobilisé partout où il y avait ne serait-ce qu’une certaine adhésion, et ailleurs ils ont jeté de l’huile sur le feu de la division.

Progressivement démasqués dans leurs pratiques, et objectivement et inexorablement engagés sur la pente qui les mène à leur perte, ils recourent de façon de plus en plus grossière mais de plus en plus assassine à la division de nos rangs, à l’opposition artificielle des dirigeants. Ainsi, ils détournent l’attention vers d’hypothétiques dissensions au sommet, pendant qu’ils se dérobent à leur devoir de ressaisissement et d’autocritique.

Ne cherchons pas loin. Le malaise actuel est la conséquence des comportements criminels non dénoncés parfois, non promis ? toujours. S’il y a opposition, ce n’est nullement entre ceux-là que l’on indexe : « les dirigeants historiques ». S’il y a opposition, c’est bel et bien entre ces éléments intolérables, incompatibles avec la rigueur révolutionnaire et la fermeté qui nous est dictée par l’obligation de toujours approfondir le processus déclenché depuis le 4 août 1983.
Le résultat de ce travail égoïste, lutter rien que pour soi au point de compromettre l’intérêt général, est que nous sommes affaiblis, en tout cas sérieusement ébranlés. Les rumeurs les plus folles ont embrasé les masses. L’opinion s’en émeut et s’en inquiète. La panique généralisée prédispose aux actions les plus insensés… que faire quand on est à ce point désespéré !

Gagnée par l’inquiétude généralisée, la direction politique se retrouve désemparée du fait que l’origine du mal est diffuse, et que la thèse de l’opposition, quelques dirigeants de premiers plan, ne convainc pas, quoique commode aux regards de la tradition de lutte aux sommets chez les vieilles gardes politiques d’ici. D’ailleurs ceux-là mêmes qui ont donné pour être des responsables en querelle s’interrogent vainement sur ce qui pourrait être le motif de leur opposition. Le danger, c’est que l’on est obligé de s’inventer une explication et une justification plausible, tant il est répété partout qu’il n’y a « pas d’entente entre les dirigeants. »

Jamais un point d’antagonisme ne nous a opposés. Qu’il y ait eu divergence sur des points donnés, cela est courant. Même la liberté, la confiance des débats entre nous qui exclue toute inutile retenue et faux tabous, n’ont pas relevé un quelconque antagonisme qui justifierait ou expliquerait une si subite et hypothétique mais persistante rumeur d’opposition.

Ces rumeurs, aidées par le désarroi généralisé ont réveillé les possibles de toute sorte d’opposition à la Révolution : les accompagnateurs de la RDP ? Aujourd’hui dégénérés, les tribalistes, les réactionnaires de la droite brute qui reprennent espoir. . .

Même nos ennemis à l’extérieur retrouvent leur agressivité depuis longtemps émoussée par nos victoires éclatantes, et poussent à l’audace des débris d’opposants réveillés pour la circonstance.

Camarades, nous ne pouvons pas permettre à quelques individus de se jouer de tout le peuple, faire condamner le CNR dans notre Patrie et auprès des peuples qui jusque-là respectent notre lutte. Nous ne pouvons pas et ne devons pas laisser quelques éléments irresponsables faire planer sur notre Révolution, le spectre des déchirements tels ceux du Yémen. Nous ne pouvons et ne devons les laisser pervertir cette révolution avec des conséquences telle l’impasse de Grenade. Nous ne pouvons pas fermer les yeux ou nous embarrasser devant les manquements de quelques intrigants lorsque tout le pays est menacé par la guerre civile à_la manière du Liban et du Tchad.

Nous sommes responsables devant notre peuple, mais aussi responsables devant le mouvement progressiste international du devenir de cet espoir qu’a suscité la Révolution du 4 août 1983.

…Cessons de nous lamenter à quatre ou devant une situation nationale si triste. Notre sincérité n’excuse pas notre coupable sentiment d’impuissance qui traduit plus le défaitisme. Je comprends que nous soyons choqués d’être qualifiés de ce que nous ne sommes pas, d’être accusés de ce que nous n’avons pas fait.

Je propose :

1° /

Que nous allions aux masses pour leur démontrer notre cohésion par des meetings de dénonciations et de condamnation des courants divisionnistes, en ridiculisant comme il le mérite, ceux qui jusque là ont prêché avec plus ou moins de bonheur dans les eaux de la Révolution troublés par eux. Il y a urgence que nous sortions, que nous parlions, que nous rassurions notre peuple. Il y a urgence.

2°/

Eliminons de nos rangs les fauteurs de troubles. Toutes les luttes sociales ont connu des aventuriers frauduleusement introduits. L’histoire immédiate ou 1 histoire lointaine se sont changées de les éliminer. Notre révolution avancera en se purifiant. Nous ne perdrons rien à assumer le carnage révolutionnaire sentimentalement ressentis, dans le cas d’éventuelles séparations ne sera jamais rien par rapport à ce que nous endurons en ces jours, ni ce que notre peuple souffre en ces circonstances.

Je proposerai des sanctions.

3°/

Dans les meilleurs délais, il nous faudra mettre en
place :

• Les statuts du CNR, corrigés au regard de ce que nous enseignent nos difficultés présentes et prévisibles, l’acceptation et l’assimilation de la plateforme et des récents du CNR seront un critère éloquent à l’adhésion à sa ligne.

• Le programme économique, politique, social et militaire du CNR autour duquel nous rassemblerons les révolutionnaires sur la base de leurs mérites à contribuer au bonheur réel de notre peuple.

• Le Code d’Ethique Révolutionnaire qui décrira la conduite sociale la plus exemplaire vers laquelle chacun de nous devra s’efforcer de tendre.

A l’aide de ces éléments et grâce à une vie organisationnelle qui devra se départir de l’amicalisme, par un fonctionnement plus efficace de la Commission de Vérification, par des bilans périodiques sur ce que notre action a apporté ou non au peuple, nous parviendrons à faire du CNR actuel et de toute autre forme que prendrait la Direction Politique Nationale, un véritable Etat-Major où n’entrent les meilleurs des meilleurs, les révolutionnaires les plus sûrs.

La Patrie ou la mort, nous vaincrons.”

Thomas SANKARA.

Source: www.thomassankara.net/